A la guerre comme à la guerre. Le président russe, Vladimir Poutine, a choisi la fin décembre, le moment où les températures sont au plus bas, pour monter le thermomètre politique sur son voisin ukrainien. Faisant fi de la traditionnelle courtoisie diplomatique, il adopte la réponse du berger à la bergère : la révolution orange, et le choix des Ukrainiens de rejoindre à l'avenir l'UE a un prix. Celui appliqué aux membres de l'union justement. Par ricochet, et sans le dire ouvertement, Vladimir Poutine informe les Européens que l'on ne lui prend pas ses zones d'influence aussi facilement. Malgré les déséquilibres structurels que connaît la Russie en raison de sa profonde mutation, elle n'en demeure pas moins une puissance régionale avec laquelle il faudra toujours compter. Plus du quart de la consommation européenne, soit 125 milliards de mètres cubes sur les 285 milliards proviennent de Russie. Le reste vient de Norvège pour 88 milliards m3 et d'Algérie pour 32 milliards m3. Consciente de cette dépendance stratégique, l'UE tente, depuis le premier choc énergétique de 1973, de mettre en place une politique de prévention des risques énergétiques. Chose pas facile du tout, dans la mesure où les pays de l'union ne s'approvisionnent pas chez un même fournisseur, ni avec les mêmes quantités ni dans les mêmes conditions. Rappelons, par exemple, l'échec de la proposition en 2003 de l'ancien commissaire à l'énergie de l'UE, l'Espagnole Loyola Palacio, pour une gestion commune des stocks des pays de l'union. Cette précaution de la commission européenne obéissait, en fait, aux prévisions avancées en 2000 dans le livre vert de l'UE sur son avenir énergétique. On relevait alors que l'UE dépendra pour 36% du gaz algérien, par exemple, alors qu'aujourd'hui elle en importe pour 12% environ. Cette préférence pour le gaz algérien n'est pas un signe de méfiance vis-à-vis du voisin russe, mais elle tient compte des besoins futurs croissants de la Russie pour sa consommation interne. Dans les circonstances actuelles de la crise russo-ukrainienne (et même après sa résolution) vers qui ou quoi l'Europe va-t-elle s'orienter ? Pour l'heure, ses deux autres fournisseurs, que sont la Norvège et l'Algérie, ne peuvent augmenter leurs livraisons, parce qu'ils sont au maximum de leurs capacités de production. D'ailleurs, la Norvège, qui, rappelons-le, n'est pas membre de l'UE, vient de le faire savoir aux Européens. Reste l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Ses statuts prévoient qu'elle peut intervenir en cas de pénurie grave par la mobilisation des stocks de ses membres. On l'a vu avec le cyclone Katarina qui a frappé le sud des USA l'été dernier. Mais là aussi, ce n'est pas évident, car pour Katarina, il s'agissait d'un cas d'aide humanitaire. Or la crise d'aujourd'hui à des relents éminemment politiques, sans compter que la Russie est un membre influent de l'agence. Dans ces conditions, il n'est pas exclu que l'Ukraine sollicitera un soutien financier de l'UE pour contenter Vladimir Poutine. Le soutien de l'Europe à Iouchtchenko contre le candidat pro-russe durant la révolution orange est encore présent dans l'esprit du président russe. L'appui européen ne doit pas être qu'une attitude de principe. Lui aussi a un prix. Souvenons-nous lors de l'envolée du prix du pétrole en 2004/2005. L'Opep - l'Algérie et le Koweït notamment - avait alors suggéré aux Etats européens de baisser leurs fiscalités internes (près de 80% du prix à la pompe) pour juguler la tension. Ce fut un refus catégorique. « Il s'agit d'une politique interne », ont-ils répondu. Aujourd'hui, peut-on accepter cet argument pour le cas de la Russie ? Justement, c'est aujourd'hui qu'a lieu une réunion extraordinaire des responsables de l'énergie à Bruxelles. L'Europe découvre brusquement que Kiev n'est pas seul dans l'œil de Moscou.