Le président américain George W. Bush a reçu hier son homologue russe Vladimir Poutine dans la résidence familiale sur l'Atlantique avec détente et homard au menu pour tenter de faire passer le goût d'un projet antimissile pour l'Europe et de l'indépendance pour le Kosovo. Les relations entre les Etats-Unis et la Russie seront peut-être à leur plus bas depuis la fin de la guerre froide quand M. Bush a accueilli hier après-midi son « ami Vladimir » à Kennebunkport, dans la maison où il passait ses étés quand il était petit. Le 9 mai, dans un discours sur la Place rouge à Moscou, M. Poutine a laissé entendre que les Etats-Unis menaient une politique semblable à celle du IIIe Reich nazi. Si les deux hommes se promettaient beaucoup au début de leurs relations en 2001, les querelles sont aujourd'hui nombreuses et profondes. M. Poutine s'est opposé à la guerre en Irak. Il s'oppose aujourd'hui à l'indépendance du Kosovo, défendue par M. Bush. Le 5 juin à Prague, M. Bush a sévèrement critiqué l'état de la démocratie en Russie, où « on a fait dérailler les réformes autrefois promises ». Mais le plus difficile à avaler pour M. Poutine, déjà inquiet de voir l'Alliance atlantique et l'influence américaine s'étendre jusqu'aux portes de la Russie, c'est le projet de défense antimissile pour l'Europe. M. Bush assure qu'il compte, en installant un radar en République tchèque et des missiles intercepteurs en Pologne, protéger ses alliés contre la menace d'Etats voyous comme l'Iran. M. Poutine a proposé le 8 juin, comme alternative, l'utilisation commune d'une station radar exploitée par la Russie en Azerbaïdjan. En l'absence d'une réponse officielle de Washington, « il faut s'attendre à ce que M. Bush donne des éclaircissements à ce sujet » à Kennebunkport, a déclaré hier soir le porte-parole adjoint du Kremlin, Dmitri Peskov, à la presse. Les affaires nucléaires iranienne et nord-coréenne devraient être discutées en présence des responsables de la politique extérieure des deux pays, a-t-il précisé. Mais il ne s'agit pas d'un sommet formel où il faut attendre communiqués, déclarations conjointes, initiatives majeures, répètent les responsables russes et américains. Homard au menu Le temps partagé par les deux dirigeants dans l'altière demeure sur l'océan où le père de M. Bush recevait les grands de ce monde quand il était lui-même président, servira surtout à approfondir les rapports personnels dans l'espoir d'aider la diplomatie. « Des présidents au bord de la guerre froide ne s'invitent pas dans la maison de leur père », a lancé M. Peskov. Ils ont moins de 24 heures hier et aujourd'hui. M. Bush père lui-même devait accueillir le président russe à l'arrivée de son avion hier après-midi à Portsmouth, non loin de Kennebunkport et l'emmener avec son fils le lendemain sur son bateau, a précisé le responsable russe. Mais la première dame de Russie, Lioudmila Poutine, ne viendra pas car « elle avait pris il y a longtemps des engagements ». « Le sommet du homard », titrait hier un quotidien local en référence à la grande spécialité de l'endroit. Kennebunkport, villégiature très touristique et très chic, s'est elle aussi mise à l'heure russe. L'un de ses établissements a concocté pour l'occasion un « punch Poutine », fait de rhum et de jus d'ananas et d'orange. Mais les opposants ont également préparé leur sommet. Ils ont appelé à manifester hier pour protester contre la guerre en Irak, mais aussi contre la politique russe en Tchétchénie, et pour réclamer la destitution de M. Bush et de son vice-président Dick Cheney. Ils rappelleront à M. Bush sa condition de plus impopulaire président qu'aucun autre depuis Richard Nixon et faisant face à un homologue russe plein de confiance et fort de l'estime de ses compatriotes.