La chute annoncée du colonel Mouammar El Gueddafi va donner une impulsion certaine aux autres soulèvements arabes qui s'essoufflaient, mais le caractère armé de cette révolution et l'implication militaire occidentale suscitent des inquiétudes. Arrivé au pouvoir il y a 42 ans par un coup d'Etat, le dirigeant libyen est en passe de devenir le troisième chef d'Etat arabe à être emporté par le «printemps arabe». Mais alors que ses homologues tunisien Zine Al Abidine Ben Ali et égyptien Hosni Moubarak ont été renversés par un soulèvement populaire pacifique qui a duré quelques semaines, les rebelles libyens armés, aidés par l'OTAN, combattent depuis plus de six mois. «Voir tomber un nouveau dirigeant arabe va encourager les autres mouvements d'opposition dans le monde arabe et prouver qu'il y a un effet domino», affirme Jane Kinninmont, analyste spécialisée du monde arabe à l'institut britannique Chatham House. «Peut-être que d'ici fin 2011, cinq dirigeants arabes seront tombés», ajoute-t-elle, estimant que le président syrien Bachar Al Assad et son homologue yéménite, Ali Abdallah Saleh, pourraient suivre l'exemple de Gueddafi. Cependant, l'analyste estime que «l'Algérie est le pays le plus concerné, surtout en raison de sa proximité géographique avec la Libye». «Le Maroc a annoncé des réformes assez globales, alors que le régime algérien a pu jusqu'à présent réprimer avec succès les protestations mais ne semble pas capable de mener une réforme politique», explique-t-elle. Salam Kawakibi, directeur de recherches à l'Initiative arabe de réforme, estime lui aussi que la prise totale attendue de Tripoli par les rebelles «va redonner espoir à la révolution arabe, après les frustrations des mois derniers». La répression des protestations en Syrie a fait plus de 2 200 morts depuis mars et le régime ne montre aucune inflexion alors que le président yéménite hospitalisé en Arabie Saoudite après un attentat, annonce régulièrement son prochain retour. M. Kawakibi déplore cependant «que la victoire des rebelles libyens soit intervenue avec une aide étrangère», soulignant que les autres mouvements de contestation, en Syrie ou au Yémen, sont soucieux de préserver le caractère pacifique de leur protestation et de ne solliciter aucune aide étrangère. Ibrahim Sharqieh, directeur adjoint du Brookings Doha Center, estime lui aussi que «cette première révolution arabe, qui a triomphé par les moyens militaires et avec une aide de puissances étrangères, ne constituera pas un modèle» pour les autres soulèvements arabes. «Je suis convaincu que le soulèvement pacifique se poursuivra dans le reste du monde arabe», affirme-t-il, tout en soulignant que l'un des principaux défis auxquels doivent faire face les rebelles libyens à présent est de surmonter leurs divergences, notamment idéologiques. Un point de vue partagé par M. Kawakibi qui craint que «les islamistes extrémistes» tentent de récupérer la révolte mais aussi surtout les ingérences étrangères dans la Libye de demain. «Les pays qui sont intervenus militairement en Libye en invoquant des raisons humanitaires avaient en perspective les marchés qui vont s'ouvrir et la reconstruction» de ce riche pays pétrolier, souligne cet analyste basé à Paris. La Libye dispose des principales réserves de pétrole d'Afrique avec 44 milliards de barils et son brut est particulièrement prisé, du fait de sa faible teneur en soufre et de sa proximité géographique de l'Europe. Les rebelles qui veulent relancer la machine pétrolière à l'arrêt ne devraient pas oublier leurs alliés occidentaux (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Italie) et arabes (Qatar) dans la reconstruction et pour les juteux nouveaux contrats d'exploitation, selon des experts. «Je crains qu'après la libération de la Libye, outre le prix économique inévitable, il n'y ait un prix politique à payer, le pays devenant très proche de la politique occidentale», dit l'analyste, arrière petit-fils du grand réformateur arabe, Abdel Rahman Kawakibi.