Fatima Sissani, à travers un portrait intimiste de sa mère, trace lucidement les contours d'une histoire mal cicatrisée qui touche celle des enfants de l'immigration qui cherchent la clé de la transmission brisée. Lyon De notre correspondant Fatima Sissani a réussi ce que tous les enfants d'immigrés en France brûlent de faire : rendre hommage à leurs parents et expier pour eux la douleur de l'éloignement du pays.Avec son documentaire La langue de Zahra *, qui a été projeté ces derniers jours aux Etats généraux du documentaire à Lussas (Ardèche) et qui le sera le 29 août à Angers, un bel hommage est rendu à la mère et à la terre, le pays kabyle. Bled ou «tamurth», quelle différence ? Sétif, Tébessa, ou Tizi Ouzou, arabophone ou berbérophone, les racines sont tenaces et les déchirements consument ceux qui se sont laissés prendre contre leur gré par le tunnel sans fond de l'exil et y ont entraîné leur descendance. Fatima Sissani, après des études de droit, se prend de goût pour le journalisme et découvre le documentaire radio notamment dans le sud, à Forcalquier, où elle se rôde à cet exercice sur une des stations pionnières du genre, Radio Zinzine. Un jour, elle décide de passer le cap, et se met au défi de réaliser un film sur l'immigration à partir de sa mère, Zahra. Une amie, Olga Widmer, cadreuse, l'encourage. Elle lance une souscription dans son entourage qui lui permet de réunir une somme de 10 000 euros avec laquelle elle démarre, chacun de ses assistants acceptant de travailler sans être payé. Ensuite, une aide en prêt de matériel de l'association des jeunes cinéastes, basée à Bruxelles (Belgique) donne du tonus au projet. Enfin, une rencontre décisive intervient avec la maison de production 24 images**. Le rêve devient réalité : «Cela m'intéressait, nous-dit-elle, de faire un documentaire sur la double représentation des immigrés, et je suis vraiment une enfant de l'immigration par excellence. Ce n'était pas dans mon idée de faire un film sur l'Algérie, mais sur l'immigration.» Le parti pris est clair pour elle : « J'étais toujours frappée par le regard qu'on portait sur ma mère qui ne parle pas le français, elle ne sait ni lire ni écrire, mais j'ai toujours été bercée par la langue kabyle. Elle la parlait avec mon père et je l'écoutais, dans un langage soutenu, s'exprimer avec poésie, convoquant des proverbes. C'était une vraie oratrice et, en grandissant, je me suis interrogée sur le fait que les gens la voyaient comme une analphabète alors qu'elle est d'une grande culture, comme mon père, qui était un grand orateur. En comprenant les enjeux de la mémoire collective qui sont imprégnés de la question coloniale, je me suis dit qu'on la regarde comme la pauvre indigène alors qu'elle est porteuse d'une grande tradition orale. J'ai eu envie de faire un film pour dire au public français que les immigrés, hommes, que vous avez toujours vus comme une force de travail, les femmes, comme des Fatma bonne à élever des gosses, eh bien ces gens-là, ils sont autre chose, ils sont porteurs d'une incroyable culture qui passe beaucoup par l'oral». Autant dire que la maman, qu'on voit dans le film, entre son appartement parisien et son village kabyle, a apprécié l'hommage rendu par sa fille : «Une amie de la famille m'a dit lors d'une projection, que quand un enfant rend hommage à sa famille, c'est bien, toi au moins, tu as fait une grande chose pour ta mère.» Pour Fatima Sissani, le voyage au pays lui a aussi fait comprendre que la tradition perdure. Elle peint d'émouvants tableaux où des anciennes récitent par cœur des poèmes qui se transmettent. En contrepoint, elle offre le visage d'une jeune femme de son village pour qui la création poétique est la raison d'être. Un beau tableau.
Note : * La langue de Zahra est disponible au prix de 20 euros. Pour en savoir plus : 24 images 5, place Lionel Lecouteux 72 000 LE MANS – France Tel : 02 43 78 18 45 Fax : 02 43 78 02 79 www.24images.fr **«24 images» est dirigée par Farid Rezkallah. La société développe de nombreux films documentaires (musique, animalier, société, patrimoine...), mais aussi diverses captations de spectacles vivants (danse, musique,...). Les réalisations sont diffusées sur plusieurs chaînes généralistes françaises, comme France 2, France 3, ou encore Arte, entre autres. Parmi les dernières productions Vent de Sable, le Sahara des essais nucléaires, de Larbi Benchiha.