Le nouveau roman de Yasmina Khadra, L'équation africaine sort chez Julliard. Une ode violente et humaine pour parler des déchirements qui secouent l'Afrique. Yasmina Khadra change de registre et revient, tout en les transcendant, aux préoccupations qui lui avaient réussi lors de la parution de sa trilogie L'Attentat, Les sirènes de Bagdad et Les hirondelles de Kaboul. Il met sa verve de conteur et d'imaginatif faiseur d'histoire au service d'une cause qu'il n'avait pas encore explorée jusque-là : l'Afrique. Cela donne un fastueux et somptueux roman, intitulé L'équation africaine, qui paraît ces jours-ci en France aux éditions Julliard. Un roman, mais pas seulement. Ce livre est aussi dans sa flamboyance un appel du pied à de nouveaux cinéastes qui pourraient être intéressés par cette œuvre débitée comme un torrent d'idées et de sensations. Si on ressort profondément ému de ce roman qui nous entraîne loin de nos petits soucis quotidiens, il n'en reste pas moins vrai que l'invraisemblable parcourt les pages de cette odyssée dans l'horreur. Le talent d'écrivain de Yasmina Khadra rend possible cet enfer parmi les hommes vécu par le personnage principal. La cinématographie nous ferait toucher de près ce que la littérature a tout de même du mal à nous faire vivre. Alors, après le tournage de Ce que le jour doit à la nuit (cet été, le cinéaste Alexandre Arcady a achevé des prises à Djerba en Tunisie), on se plaît à rêver, déjà, d'une transposition de L'équation africaine sur grand écran.Ce nouveau roman présente cependant une construction plus complexe que les précédents, tant Khadra est allé au bout de lui-même dans une histoire où, pour la première fois, il est absolument étranger. On n'est plus ni en Algérie ni dans les soubresauts de l'Islam politique développé dans sa trilogie. On reste malgré tout dans la barbarie. Au départ, on a une histoire somme toute banale d'un médecin allemand, Kurt Krausmann, dont la réussite est complète. Il a un cabinet, une clientèle assurée et sur le plan personnel une femme qu'il aime. Sauf que depuis quelque temps, il la sent en retrait, moins disponible, lointaine. Il n'arrivera pas à percer son secret et cela le mine, jusqu'au jour où il la retrouve suicidée, dans la salle de bain. Cela pourrait faire le début d'un roman sentimental avec des retours en arrière, et l'évolution de cet homme qui se reconstruirait peu à peu. C'est là qu'il faut suivre Khadra. Pour s'oublier, le médecin accepte l'invitation de son ami Hans, riche industriel qui passe sa vie au service de l'humanitaire. Justement, il part vers les Comores. Kurt le suit. Le bateau les attend à Chypre. Capturés au large de la Somalie par une bande de rebelles sans foi ni loi, ils vont être captifs au Soudan. Là, sur un fond de violence, l'auteur veut nous faire entrevoir une certaine réalité de l'Afrique : «Tout est bizarre en Afrique, on tue, on vole, on rançonne, on dispose de la vie comme du dernier des soucis. Alors, que ça se passe en Somalie ou au Soudan, qu'est-ce que ça change au fond ?» Cette intervention de Kurt, vers la fin de l'ouvrage pourrait résumer le livre où le lecteur tremble, ému par la violence des sentiments que l'écrivain fait naître en lui.