Durant les 10 derniers jours du mois sacré de Ramadhan, les Constantinoises se consacrent exclusivement ou presque à la préparation des traditionnelles pâtisseries de l'Aïd El Fitr. Se préparant à sortir exsangues d'un mois de Ramadhan ruineux, dont la fin sera «saluée» (en plus de l'Aïd), par une rentrée scolaire extrêmement «budgétivore», les pères de famille, pourtant, n'y dérogeront pas et devront se débrouiller pour ramener à «Madame» l'argent qu'il faut pour l'achat des ingrédients nécessaires pour ses petits gâteaux. Plus qu'une tradition, plus qu'une mission familiale, la préparation des friandises de l'Aïd est, pour les Constantinoises, un véritable sacerdoce. Il faut dire que les habitantes du Vieux Rocher, gardiennes d'un héritage gastronomique séculaire, sont connues pour leur talent et leur savoir-faire inimitable dans la préparation des succulents makroudh, baqlawa, ktayef, taminat ellouz et autres ghribia, gâteaux sans lesquels l'Aïd ne serait plus tout à fait une véritable fête. En ces ultimes journées du mois de jeûne, les ménagères de la ville des ponts prennent résolument d'assaut les commerces proposant les divers ingrédients nécessaires pour ces gâteaux. Rencontrée dans l'un de ces commerces, une dame, Abla B., affirme sans hésitation aucune, comme pour appuyer ses propos, que l'Aïd «vient une fois par an (elle fait fi de l'Aïd El Adha et des innombrables autres fêtes) et l'on est tenus de l'accueillir comme il se doit, avec les plus savoureux délices». Moins enthousiaste, Mme Hassina H., promenant un regard dubitatif sur l'étal du commerçant, trouve que la flambée des prix de cette année «ne va pas manquer d'empêcher de nombreuses familles de perpétuer ce rituel». Elle affirme qu'elle va se contenter de préparer seulement deux sortes de gâteaux», soulignant au passage que les amandes, «trop chères», ne figureront certainement pas dans la liste des ingrédients. Petites gourmandises Si beaucoup de femmes au foyer préfèrent préparer elles-mêmes leurs pâtisseries, d'autres, surtout des femmes actives, préfèrent simplement les acheter chez l'un de ces pâtissiers qui sont de plus en plus nombreux à se spécialiser dans les petites gourmandises traditionnelles. Pour Ilham S., employée de banque, «préparer soi-même ses gâteaux ou les acheter revient quasiment au même prix, c'est pourquoi, je préfère faire l'économie de mes efforts et me consacrer à d'autres tâches». Elle assure que le fait de rencontrer chez les pâtissiers nombre de femmes en train d'acheter leurs gâteaux comme elle, la «soulage». Enseignante, Ahlam H. préfère également acheter ses gâteaux, question, dit-elle, «d'avoir plus de temps pour faire le ménage, s'occuper des enfants, aller chez la coiffeuse et bien dormir la nuit de l'Aïd pour être en forme le jour de la fête et des visites familiales». Samir M., propriétaire d'un commerce spécialisé dans la vente d'ingrédients pour pâtisserie, propose à la vente des gâteaux traditionnels préparés par une pâtissière à domicile : «C'est une excellente pâtissière dont les gâteaux sont très demandés pour les mariages et les fêtes de l'Aïd», assure-t-il. Il susurre justement que de nombreux pâtissiers ayant pignon sur rue, dont les vitrines sont richement achalandées, commandent carrément les petits gâteaux pour les revendre ensuite avec une confortable marge bénéficiaire chez des femmes au foyer, toujours contentes de n'avoir affaire qu'à un seul client. Tout le monde, finalement, y trouve son compte, la pâtissière, le commerçant et le client, sans compter l'assurance de la perpétuation de la tradition liée à la préparation, par des mains expertes, des petits gâteaux de l'Aïd.