L'infirmière lui demande : «Comment voulez-vous appeler ce petit ange ?» Et la maman répond avec fierté et beaucoup d'assurance : «Mon fils… il s'appelle Mastias». La scène a eu lieu au beau milieu du mois d'août dans la clinique de M'chouneche (50 km au sud de T'kout). Ici, les prénoms berbères prédominent. Depuis une dizaine d'années, la population chaouie de cette contrée aurésienne a bravé l'interdit et réussi à imposer une nomenclature puisée dans la culture et l'histoire amazighes. Le phénomène est vécu comme un véritable acte de révolte contre le déni identitaire ; une forme de rupture avec le mensonge. Dans toutes les vallées et sur toutes les collines des Aurès, le combat continue, car il s'agit d'un réel combat face aux soldats de la monoculture qui peuplent l'état civil et les institutions de l'Etat en général. Au nom de notre culture arabo-islamique, des agents zélés ont toujours refusé de souscrire à la volonté des parents pour inscrire les nouveau-nés avec des noms berbères. Souvenons nous du cas des jumeaux Belkhiri qui a occupé l'actualité en l'an 2000. Les deux jumeaux nés dans la commune de Aïn Touta (30 km au sud de Batna) sont restés sans identité trois années durant à cause de la résistance de l'administration. Leur père, Rachid, se souvient encore de cet épisode absurde : «Quand j'ai donné les prénoms de Gaïa et Micipsa à l'agent de l'état civil, il a refusé de les inscrire, prétextant que ces prénoms ne figurent pas dans la nomenclature autorisée, et devant mon insistance, il m'a orienté vers le procureur de la République. Ce dernier a refusé pour le même motif, j'ai eu beau tenté de lui expliquer qu'il s'agissait de prénoms d'un ancêtre de Massinissa et du neveu de ce dernier, rien n'a pu lui faire changer d'avis». Des cas comme celui-ci il y en a eu beaucoup depuis que l'Algérie est otage des idées réductrices au sujet de son histoire. Mais la détermination de Belkhiri allait casser un tabou cette fois. Son recours à la presse et même à l'ONU ont fini par créer une pression sans précédent sur les autorités. Il ira jusqu'à ester en justice l'APC de Aïn Touta et gagnera son procès. Un verdict qui fera d'ailleurs jurisprudence, car désormais, tous les parents touchés par l'émulation et à qui on refuse des prénoms berbères vont faire valoir ce cas de notoriété. A T'kout, où les noms berbères apparaissent timidement dès les années 1970, un élan notable est observé dès 2001, qui correspond au déclenchement du printemps noir et à ce qu'on appelle encore aujourd'hui, l'affaire Ghiles. Le jour même de la naissance de ce bébé et devant le refus catégorique de l'inscrire sous ce nom à la commune de Arris, les habitants de T'kout, d'où est originaire sa famille, se sont déplacés en force pour manifester alors qu'une grève générale était déclenchée dans leur village. Ils finiront par obtenir gain de cause et revenir vainqueurs chez eux. Depuis ce jour, la population est relativement tranquille sur cette question ; elle a même réussi à faire adopter un livret des prénoms berbères au niveau des services de l'état civil. Une victoire significative qui a fait qu'aujourd'hui à T'kout et un peu partout dans les Aurès, les prénoms berbères dominent chez les moins de 10 ans. Et c'est Massinissa qui détient la palme. Dans l'école primaire de Chenaoura par exemple, on a compté pas moins de 11 élèves portant le nom du roi des Berbères. Ghiles et Jugurtha sont aussi prisés et des prénoms moins connus, mais aussi beaux et forts, sont actuellement en vogue, à l'image de Mastias. Comment les jeunes portent-ils ces prénoms aujourd'hui ? «Avec beaucoup de fierté, affirme Rachid Belkhiri. Gaïa et Micipsa font même des jaloux autour d'eux», conclut-il.