Une cloche qui tinte… puis une autre. Dans Manhattan, tout s'est arrêté de bouger, de parler, de respirer. Il est 8h46. L'heure exacte à laquelle le premier avion est venu se crasher dans la North Tower. Et c'est aussi la première d'une longue série de minutes de silence observées partout aux Etats-Unis, à chaque crash ou effondrement qui ont eu lieu en ce «black tuesday». Et c'est justement sous le spectre de menaces terroristes que se sont déroulées, dimanche, les cérémonies de recueillement et de commémoration des attentats du 11 septembre 2001. Des attaques qui ont fait, faut-il le rappeler, 2976 victimes, dont les noms ont tous été cités, un par un, et qui sont tous gravés sur le bronze et le granit des deux immenses fontaines «memorial» érigées au cœur même des fondations des Twin Towers. Des noms auxquels viennent s'ajouter ceux des six victimes de l'attentat de 1993. Le site, jusqu'alors fermé au public, a ainsi été inauguré au cours de cette cérémonie interdite, elle aussi, au public. Seules y ont assisté les familles des victimes et des officiels, dont, entre autres, l'ancien et l'actuel maire de New York, des représentants de la sécurité, and last but not least, les deux derniers présidents des Etats-Unis. Alors que Barack Obama citait la bible, «Dieu est notre refuge et notre force», George W. Bush a, quant à lui, lu une lettre d'Abraham Lincoln adressée à une veuve ayant perdu son fils durant la guerre de Sécession. Ce qui aura provoqué une vague d'émotion dans le public, peu nombreux au début de l'événement. Les présents ont suivi la retransmission de la cérémonie en direct sur des écrans géants placés à plusieurs carrefours de Church street, l'avenue qui longe le site du World Trade Center. Mais si la foule attendue n'était pas aussi nombreuse, à 8h30, en ce week-end, ce n'est sûrement pas par manque de ferveur quelconque. Le dispositif sécuritaire est tel que très peu savaient, en début de matinée et tout le long de la journée, comment contourner les milliers de barricades installées qui coupaient les accès à l'avenue. Seule une entrée est aménagée toutes les 5 rues. Et encore faut-il montrer patte blanche aux multiples check-points avant d'escompter trouver une place devant l'un des écrans. Pièce d'identité, passeport pour les étrangers, carte de presse et accréditation, fouille minutieuse des sacs à main uniquement, les sacs à dos étant proscrits, passage au détecteur… et ils étaient nombreux les NYPD, – New York police Department – à s'assurer que personne ne passe hors des passages autorisés, à circuler dans la foule, mais aussi et surtout à orienter citoyens et touristes. «God bless New York» Il est près de 9h et l'affluence commence à augmenter. Dans les rues, on distribue des fanions et des drapeaux aux couleurs américaines – qui se vendront dans les mêmes rues quelques heures plus tard, à 2 dollars US. Les barreaux de la St-Patrick Church, église qui se trouve en face du WTC, mais qui n'a connu aucun dommage, sont parés de rubans blancs, sur lesquels y est inscrit «Remember to love». Sur la margelle des bougies sont allumées. Des gerbes de fleurs y ont été déposées. Un couple, accompagné d'enfants en bas âge, y marque une pause. C'est que l'on vient en famille, et ce, en dépit des alertes et autres menaces terroristes. Et si toutes les franges de la société assistent à cette cérémonie, toutes les corporations sont, elles aussi, représentées. Les Fire-fighters évidemment, chouchous et idoles de tous, au vu du lourd tribut que les différentes brigades de la ville ont payé. Mais aussi des militaires, des policiers, des secouristes, des représentants de différents corps de l'armée, ainsi que de nombreux vétérans. Au fur et à mesure des arrivées, silencieuses et circonspectes, les places réservées au public se remplissent. Et c'est une foule en transe qui assiste à la longue litanie des noms des victimes, égrenés par leurs proches. Sur des centaines de mètres, on ne voit que des milliers de personnes regardant attentivement dans la même direction. Des milliers d'oreilles, toute ouïe aux brefs mots poignants, que les enfants, époux, parents, sœurs et frères adressent à leurs disparus. Ces voix étouffées de chagrin et de douleur, le bourdonnement des amplificateurs et le bruit des hélicoptères survolant le ciel de Manhattan, brisent le lourd silence chargé d'émotion et de tristesse, entrecoupé par des applaudissements lors des séquences musicales ou des discours officiels. Et un «Yes» général lorsqu'une policière, fille d'un officier tué au WTC, clôt son hommage par un «God bless New York, God bless the United states of America». Dans la foule, certains ont allumé des bougies, apporté des fleurs, et s'effondrent en larmes, les uns dans les bras des autres sous les objectifs des caméras et des flashs des appareils photos des médias internationaux, présents en nombre. «Profilage racial» Au bout de deux heures de cérémonie, les identités des victimes sont encore égrenées comme les grains d'un chapelet de prière. Epuisés, les téléspectateurs se sont assis à même le sol. C'est le cas de Sheila. Péruvienne d'origine, elle est arrivée à New York en 1969. «Les tours étaient en phase terminale de construction, et c'est la première chose que j'ai visitée à mon arrivée. D'où l'importance pour moi d'être là», souffle la sexagénaire, entre deux coups d'œil à l'écran. Elle s'interrompt lorsque le glas tinte pour une autre minute de silence. Puis elle reprend : «Tous mes enfants travaillaient ici. Dieu merci, aucun d'eux n'y est allé ce jour-là. L'un de mes fils est policier, donc appelé pour le renfort juste après. Et j'ai vu dans quel état, il était rentré à la maison… C'était tellement éprouvant pour toute la ville», continue-t-elle. Issue d'une famille de pompiers et d'infirmière, Christina aura, elle aussi, vécu, à travers ses parents, le chaos qui régnait sur le site. «Ils étaient tout le temps sur le site, et les rares fois où ils rentraient à la maison, ils étaient dans un de ces états !», se souvient la jeune actrice de 25 ans. «Notre vie avait changé du tout au tout», poursuit-elle. Mais pas seulement. Pour certains riverains, passer aux abords du WTC était devenu une véritable épreuve. «Je vis à Manhattan, et c'est un sentiment étrange. On passe à côté du vide laissé par les tours, et l'on ne peut s'empêcher de baisser la tête, de serrer la mâchoire. C'est très inconfortable», confie Aline, en essuyant ses larmes. «Et puis tout a changé après cela. Nous avons tellement pris conscience des situations autour de nous. Sans parler des mesures de sécurité qui ont redoublé. Les gens font du ‘‘profilage racial''», déplore la jeune femme, en réajustant ses lunettes de soleil. Les étranger en nombre Les New-Yorkais et les Américains ne sont pas les seuls à être là. Des touristes, par milliers, sont venus de tous les horizons afin de commémorer cette journée qui a bouleversé la face du monde. «Je n'aurais manqué ça pour rien au monde.» Eric, la quarantaine, est sapeur-pompier. Le fanion, bleu, blanc, rouge, qu'il a planté à son caméscope détonne quelque peu, c'est le drapeau français. «J'ai travaillé une année ici même, à New York, il y a de cela une quinzaine d'années. Je venais même me balader au World Trade Center», se souvient l'homme accroché à l'une des barricades faisant face à l'écran géant. Emus, sa femme et lui le sont fortement. Ils ne peuvent retenir leurs larmes à l'évocation de cette journée. «En tant que pompier, je ne peux qu'être solidaire avec mes confrères. Et en tant qu'être humain, je ne peux qu'être touché par ces milliers de tragédies individuelles et la tragédie d'une nation», explique Eric, en suivant attentivement la cérémonie. La douleur sur son visage s'accentue à chaque fois que le nom d'un pompier est cité. «J'ai programmé mon congé afin de le faire concorder avec ce 10e anniversaire. Quelques jours uniquement pour être là, aujourd'hui», affirme-t-il. D'ailleurs, il semblerait qu'une sorte de «tourisme» du 11 septembre se soit installé au fil des années. Ils sont ainsi des milliers, Portugais, Espagnols, Français, Allemands, Canadiens, Russes, à avoir fait le déplacement. Pour certains, c'est leur première visite aux Etats-Unis. Contrairement à d'autres, comme ce couple d'Argentins, qui était en vacances à New York lorsque les attentats se sont produits, il a tout fait pour être là, dix ans plus tard. Ce qui émerveille les New-Yorkais. «Le soutien universel que nous recevons est extraordinaire. Des gens de différentes origines viennent ici, compatissent avec nous. Ils ont été, tout autant que nous, émotionnellement affectés. Et c'est ce que je trouve absolument formidable», confie Christina, tout en observant la foule qui se dispersera bien après la fin de la cérémonie officielle.