Des terroristes repentis, anciens élargis et détenus, font état de nouvelles révélations sur l'assassinat des moines de Tibhirine. Lorsque les services de sécurité ont récupéré, le 11 août 1996, sur le corps d'un des trois terroristes abattus au quartier Petit-Lac, à Oran (auteurs également de l'assassinat de Monseigneur Claverie), quatre documents appartenant au GIA et liés à l'assassinat des moines de Tibhirine, ils n'ont pas évalué, sur le moment, l'importance d'une feuille volante portant le cachet du GIA. Sur celle-ci, on peut lire deux numéros de téléphone, un en Algérie, celui de l'ambassade de France à Alger (69 24 88 poste 14 53) et l'autre en France ((1)42330318), ainsi qu'un nom : M. Clément et cette annotation en arabe : «Les numéros de téléphone remis par l'ennemi de Dieu, Clément, le diplomate français au messager de l'émir du Groupe islamique armé.» S'il est établi que le GIA avait bel et bien envoyé un messager à l'ambassade de France à Alger, pour négocier la libération des moines, les autorités françaises ont de tout temps nié tout contact avec Djamel Zitouni, alors émir de l'organisation terroriste. Pourtant, des années après, des témoins de premier degré, d'anciens membres du GIA qui se sont repentis ces dernières années, ou élargis dans le cadre de la charte portant réconciliation nationale, et ayant purgé leur peine de prison, reviennent, pour la première fois, sur les circonstances de cet événement tragique. Leurs témoignages expliquent les informations contenues dans les 6 documents sur les 105 déclassifiés par les autorités françaises (sur les 109), et publiés sur le site Web de France Inter en mars dernier. Ils confirment que la France a joué la carte des négociations avec Zitouni, en envoyant un émissaire jusque dans son PC. Que s'est-il passé ? Et surtout, qu'est-ce qui a poussé Zitouni à ordonner, à la katiba El Khadra, l'exécution des moines après 53 jours de séquestration ? Même si elles ne lèvent le voile que sur une partie de la vérité, les réponses que nous avons obtenues auprès d'anciens éléments du GIA, les déplacements sur les lieux, ainsi que les informations contenues dans quelques documents de la Direction de la sûreté du territoire (DST) permettent aujourd'hui de retracer l'essentiel des étapes –depuis l'enlèvement jusqu'à l'assassinat – et comprendre que le sort des moines était scellé, dans une large part, dès le retour de l'émissaire des autorités françaises du PC de Djamel Zitouni. Retour sur un crime qui a bouleversé le monde En ce mercredi 27 mars 1996, les moines se préparent à fêter Pâques avec des religieux venus du Maroc et de la France. Ils sont plus d'une vingtaine. Certains sont arrivés très tard. La nuit, les portes sont fermées à double tour, vu la situation sécuritaire de l'époque. Au premier étage, se trouvent les appartements des sept moines, alors que les invités sont hébergés dans l'hôtel situé en face de la chapelle.Dehors, les terroristes se préparent à mener l'assaut. Selon les différents témoignages, ils sont à peu près une quarantaine, dirigés par Maïz Mohamed dit Abou Al Hareth, émir Djound (bataillon) comprenant les phalanges de Ouezra, d'El Hamdania et de Ksar El Boukhari. Le groupe se scinde en trois. L'un de 16 éléments, à sa tête Méziane Baghdad, membre de la serriat kheibar (section) de la phalange Tabaria, auteur de l'enlèvement (des religieux) et de l'assassinat de deux membres de la famille de Belahdjar, Serraj et Moulay Abderrahmane ; le deuxième est chargé du rapt (qui a échoué) de Hocine Slimani et le troisième est embusqué sur la RN1 pour protéger le convoi des otages. Vers 1h30 du matin, Abou El Hareth et ses compagnons investissent le monastère, après avoir coupé les lignes téléphoniques et le courant électrique. Ils commencent par neutraliser le gardien, Benali Mohamed, qu'ils interceptent au moment où il tentait de donner l'alerte. Ils le somment de les conduire vers le médecin, frère Luc. Ils montent au premier étage, d'où les sept moines sont enlevés. Ils quittent les lieux à pied, en emportant des médicaments. Dans leur retraite, ils traversent la RN1 et se dirigent vers Oued Sidi Ali. Sur leur passage, ils assiègent trois maisons de la famille Benmouloud (parents par alliance de Belhadjar alors émir d'une katiba du GIA pour Médéa) situées à Moualdia. Trois des Benmouloud sont enlevés, un autre est tué et son frère est blessé. Le convoi poursuit sa marche, vers Oued Sidi Ali. Selon G. Fodil, (amnistié en 2000), dit Abou Billel, qui faisait partie du groupe chargé de couvrir le passage des otages au niveau du croisement de la RN1 avec l'oued Sidi Ali, «quand le groupe est arrivé à Oued Sidi Ali, deux véhicules, une Mercedes et une Daewoo, les attendaient. Ils ont pris le départ vers Gherfat Guerouaou, où ils sont arrivés vers 7h. Ils se sont installés dans un haouch abandonné, appartenant à Yakhlef Cherrati, et ce jusqu'à 19h». Des propos, que confirme Larbi Benmouloud, enlevé à Moualdia. «Lorsque nous sommes arrivés à Gherfat Guerouaou, avec mes deux cousins, on a tenté de prendre la fuite à la tombée de la nuit. Mes deux cousins ont été tués. J'ai réussi à fuir en me cachant dans les fourrés», dit-il. Il affirme avoir vu les moines et reconnu deux d'entre eux, dont frère Luc. 8 ans après, 3 passeports sont récupérés à Bougara Selon les aveux de Guechniti Redouane, membre du groupe de Bougara, et de Boudiaf Noureddine, dit Abou Othmane, membre de la katiba El Khadra, chargé des liaisons entre les différents émirs du GIA, devenu par la suite le dernier émir du GIA, «Zitouni a envoyé une trentaine de membres, à leur tête Antar Zouabri, pour récupérer les moines de Guerouaou et les diriger vers le PC du GIA, à Tala Ser (de Bougara). Ils étaient dans deux 404 bâchées », racontent-ils. Toujours en détention, les deux témoins ont été arrêtés en même temps, en 2004. Leurs aveux ont permis aux services de sécurité de découvrir trois passeports illisibles et deux cartes d'identité des moines dans une casemate à Oustouki, sur les hauteurs de Bougara. Une découverte jamais rendue publique. Le 28 avril, sur la base d'informations révélées par Benmouloud, à 10h, les forces de sécurité se déplacent sur les lieux et neutralisent deux terroristes, membres de la katiba Tabaria. Le repenti Fethi B., dit Abou Billel, membre de la katiba El Khadra (qui s'est rendu le 7 mai 1996, et a purgé sa peine de prison) relate : «Sur son chemin, le groupe envoyé par Zitouni est accroché par les unités de l'ANP, au lieudit Hamar, mais il réussit à faire une percée et quitte les lieux. Ils tuent six militaires, en blessent quatre autres et récupèrent une paire de jumelles à infrarouge ainsi que cinq armes.» Fethi continue son récit : «J'ai reçu de Abderrazak El Para, conseiller militaire, et de Assouli Mahfoud dit Abou Loubaba, membre de la katiba El Khadra, les sept passeports des moines, les jumelles à infrarouge et les armes (récupérées sur les militaires). C'était trois jours après l'enlèvement. Le convoi est scindé en deux. Les otages sont dirigés vers l'infirmerie, accompagnés uniquement des terroristes qui connaissent le lieu tenu au secret. Les autres sont venus directement au campement de Djamel Zitouni, c'était son PC. Le soir même, Saïdj Redouane, alias Redouane Makador, m'a ordonné de préparer la valise satellite et d'alimenter le groupe électrogène à cet effet. Il a pris contact avec une personne pour l'informer de l'arrivée des moines au PC du GIA, à Bougara.» La durée de trois jours, qu'a nécessitée le trajet jusqu'à Tala Ser, est confirmée par le témoignage d'un autre repenti, Djamel M., dit Abderrahmane, membre de la katiba El Istihkak, dont la mission était de guider les terroristes des maquis de Bougara jusqu'à Chréa. Au 30 mars 1996, les témoignages s'arrêtent et ce sont les informations contenues dans une partie des documents déclassifiés de la DST qui nous renseignent sur la suite des événements. Lorsque la DST compromet la DGSE Ainsi, dans un courrier daté du 8 avril 1996, le général Phillipe Rondot (représentant de la DST au sein de la cellule de crise installée, dès l'enlèvement, au Quai d'Orsay, et dirigée par Colin Delaverdière) fait part au préfet Phillipe Parant, chef de la DST du compte-rendu de son déplacement à Alger du 5 au 7 avril 1996 «dans le cadre des démarches entreprises pour la libération des moines». Parmi ces démarches : «Activer à partir d'Alger et en fonction des circonstances, la filière des Djaz'aristse, mise en place ces derniers jours en direction de l'émir de Médéa, Sid Ali Benhadjar.» Sur les cinq documents, un daté du 27 mai 1996 fait le point «sur la chronologie sommaire mais complète des échanges avec le général Smaïl Lamari, patron de la Direction du contre-espionnage (DCE) ». Il est rédigé sur demande du Premier ministre français de l'époque, Alain Juppé, en tant que responsable de la cellule de crise installée au Quai d'Orsay, dès l'enlèvement des moines. Dans ce document, Rondot affirme que le 25 avril, il avait été informé par le général Smaïl de la diffusion d'un communiqué du GIA (n°43), daté du 18 avril, à Médéa, dont l'authenticité n'a été confirmée que le 29 avril. Le 30 avril, un messager du GIA se présente à l'ambassade de France à Alger. Il s'identifie sous le nom de Abdallah. Il y reste pendant une 1h30. Il est reçu par l'ambassadeur et le lieutenant-colonel Clément, de son vrai nom Pierre Le Doaré, chef d'antenne de la DGSE à Alger. L'émissaire remet une lettre signée par Djamel Zitouni et adressée aux autorités françaises. Il leur exprime sa volonté de négocier pour la libération des moines en disant : «…Et si vous voulez négocier sur ce qui a été évoqué dans le communiqué n°43 (dans lequel il revendique la libération immédiate de Layada Abdelhak en attendant d'autres conditions qui suivront, si la volonté de la France est telle), vous n'avez qu'à envoyer un négociateur français, ou un journaliste français, maîtrisant la langue arabe, nous lui assurons ‘'Al amane'' et l'engagement qu'il ne sera pas tué (…), nous lui exposerons toutes nos revendications dans le détail …», lit-on dans le document. Il menace de tuer les moines, si jamais il arrivait quoi que ce soit à son «messager», précisant qu'un délai de 24 heures est fixé pour obtenir une réponse. Dans cette lettre jamais rendue publique, le GIA exige à l'ambassade un accusé de réception, remis à Abdallah avec cette annotation : «Nous souhaitons maintenir le contact avec vous.» Le cachet de l'ambassade est paraphé juste à côté de celui du GIA. «L'envoyé» de Zitouni remet aux diplomates un enregistrement audio des moines, preuve qu'ils sont en vie ainsi qu'une liste de leurs noms et leur signature. Deux numéros, pour entamer les négociations L'officier de la DGSE lui donne une feuille volante sur laquelle sont mentionnés deux numéros de téléphone, un de l'ambassade et l'autre en France (cités plus haut). A signaler que le 18 juin 1996, dans un communiqué du GIA, signé par Saïdj Redouane, alias Makador, chargé de la commission des relations extérieures, révèle les circonstances détaillées de la visite du messager de Zitouni à l'ambassade de France. Il affirme que les Français ont déclaré au messager : «Nous sommes prêts à venir à n'importe quel endroit choisi par le GIA et à tout moment. Ce que nous voulons c'est Al amane», en lui communiquant deux numéros de téléphone. Le diplomate qui parlait à notre messager se nomme Clément. Il a proposé un téléphone portable (un téléphone satellite ?) pour faciliter le contact. Makador écrit plus loin, et de façon brusque : «Et les moines n'auraient jamais été tués si ce n'est la trahison des Français (…), le secret n'aurait jamais été divulgué et en même temps, il n'est pas question de taire les suspicions dont fait l'objet le GIA.» Ce communiqué est diffusé pour répondre, d'une part, aux Français qui on nié l'existence de tout contact ou négociation avec le GIA, mais également pour faire taire la contestation interne grandissante. Le jeu trouble des services français Dans le compte rendu de Rondo, on lit : «Le 30 avril remise d'un message et d'une cassette par un envoyé du GIA à notre ambassade à Alger. Plusieurs tentatives (P. Rondot) pour joindre le général Smaïl ou le colonel Souames (en poste à Paris), ce qui n'a pu être fait que le 1er mai à 00h30. Ils sont prévenus de cette remise. Le 1er mai, appel téléphonique du général Smaïl (P. Rondot), demandant les conditions dans lesquelles ont été remis les documents. La DCE s'inquiète vivement d'obtenir les pièces en question. Le 2 mai, à 11h, contact Rondot-colonel Souames, quelques informations sont données sur leur contenu. Une copie est réclamée avec insistance.» Ce n'est que «le 2 mai, à 17h 30, et sur instruction du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette, que la photocopie du message du GIA et le texte (sans enregistrement de la cassette) sont transmis à la DCE par fax chiffré». Toujours le 3 mai, «le colonel Souames appelle Rondot et demande de nouveau une copie de l'enregistrement audio. Il lui est répondu que la DST ne le possède pas (ce qui est vrai)», écrit Rondot. La veille de cette journée, c'est-à-dire le 2 mai, le messager du GIA est arrivé au PC de Zitouni, à Tala Ser, de Bougara. Dans le document de la DST, daté du 16 mai 1996, et signé toujours par Rondot, il est mentionné : «Si bien sûr il semble hors de question de céder au chantage de Djamel Zitouni, encore faudrait-il étudier avec soin quelle forme devrait prendre le contact que notre dernière réunion, le 3 mai, paraît désormais, autoriser.» La réunion, dont il est question, est celle de la cellule de crise composée des représentants de la DGSE, DST, du ministère des Affaires étrangères, de l'Elysée et de Matignon, et présidée par Hubert Coline Deverdière. Dans ce même message, Rondot explique longuement le concept de la négociation. Il écrit : «Dans le monde arabe, on ne pratique guère la sémantique qui consiste à distinguer subtilement une ‘négociation', une ‘tractation' d'une ‘discussion' ; dès lors que l'on parle, on reconnaît son interlocuteur, – on ‘dialogue' donc – et l'on doit ‘'nourrir'' cet échange. Notre discours ne peut se limiter à l'injonction : ‘'libérez nos moines''. Parler avec le GIA, ce serait d'abord argumenter à partir du Coran et des Evangiles sur l'erreur qui a consisté à s'emparer des religieux. Djamel Zitouni, un personnage frustre, ne serait peut-être pas sensible à ce langage, mais son premier adjoint Farid Achi dit Abou Rihana, conseiller théologique, devrait l'être. Un moyen de pression peut exister sur ce personnage connu et joignable.» Mais le GIA, dans son communiqué 74, du 18 juin 1996, apporte une précision de taille. «Leur (les Français) allégation, selon laquelle la lettre que vous avez remis à notre messager n'est qu'un simple accusé de réception est un mensonge avéré pour deux raisons : un c'est le GIA qui a exigé une réponse officielle avec le cachet dans un délai ne dépassant pas 24 heures. Cette réponse est intervenue en exécution de l'ordre de l'émir pas plus. Deuxièmement, pour ce qui est de la mention portée sur cette réponse, à savoir : ‘'Nous voulons maintenir ce contact ‘', s'il s'agissait d'un simple accusé de réception, il n'aurait pas eu le besoin d'utiliser cette phrase qui démontre leur acceptation du dialogue et leur volonté à d'y parvenir (…) Après être resté plus d'une heure 30 minutes, notre messager a quitté les lieux. Il était à bord d'un véhicule blindé en compagnie du consul et de Clément, devancé par une autre voiture blindée qui leur ouvrait la route. Il leur a fait le tour de la capitale, avant qu'il ne descende à Hussein Dey, sur son ordre… » Il est clair que pour le GIA, les deux numéros remis par Clément ouvrent la porte aux négociations. Il restait à attendre juste le retour d'écho. Mais les services français s'impatientent. Un silence s'installe durant trois jours (du 3 au 6). Le 6 mai, deux messages sont cités dans le document de Rondot. Le premier à 9h. «Envoi d'un fax chiffré (Raymond Nart (directeur adjoint de la DST) sur instruction de P. Parant, en déplacement extérieur avec P. Rondot, au général Smaïl Lamari, pour s'inquiéter du silence du GIA (il devait reprendre contact téléphonique) et demandant l'avis de la DCE ». Le premier contact avec le GIA Ce qui laisse croire qu'un premier contact avec l'un des deux numéros de téléphone remis au messager du GIA a bel et bien eu lieu auparavant. La réponse de la DCE tombe le même jour à 11h 49. Le service, ignorant totalement le scénario mis en place par ses homologues, émet des hypothèses, comme «la difficulté pour l'émissaire de renouer contact, l'absence de médiatisation ou de reprise du contact par le journal El Hayat». Puis plus rien, jusqu'au 16 mai. Durant cette période, Fethi B, membre de la katiba El Khadra, profite de sa mission d'aller à la recherche d'un médecin pour se repentir le 7 mai. Le 9 mai, dans un communiqué, Alain Juppé, dément tout contact et rejette toute négociation avec le GIA. Sur la base des aveux de Fethi B, les forces de sécurité mènent une opération dans les lieux indiqués par le repenti, sur les hauteurs de Bougara, le 22 mai. Ayant appris la reddition de deux terroristes évoluant dans la zone de séquestration des moines, tout le PC, ainsi que les otages, sont déplacés vers la région de Kef Laarayes, du côté des monts d'El Aïssaouia. Les moines sont mis dans un haouch abandonné, appelé Tala Hofra, en contrebas d'une colline, où est installée une partie de la katiba El Khadra. Personne n'a accès à ce lieu de détention, sauf les proches de Zitouni. Dans ses révélations aux services de sécurité, Hassan Hattab raconte s'être déplacé à Tala Ser/Aïssaouia pour y rencontrer Zitouni durant cette période. Il dit : «Je lui ai posé la question sur les moines, et il m'a répondu qu'il était en train de négocier.» Le repenti Djamel M., dit Abderrahim, nous renseigne un peu plus sur ce qui s'est passé dans ce dernier lieu de séquestration des moines. Chargé des liaisons, il était avec B. Fethi, avant que ce dernier ne se rende. «Dès qu'ils se sont rendu compte de la disparition de Fethi, ils nous ont ordonné de déplacer le matériel de Tala Ser. Les moines, qui étaient détenus à Dar El Hamra, sont acheminés vers la route d'El Aïssaouia, pour être séquestrés à Tala Hofra. Nous étions un peu loin des lieux, mais ils nous ont informés du passage des moines par le centre de transit. Zitouni a déplacé son PC à Tala Acha, mais il venait presque tous les jours à notre campement où il recevait les émirs, les émissaires, les invités et s'informait de la situation», déclare le repenti. Il se rappelle des nombreuses personnes qu'il guidait entre Chréa et Bougara. L'émissaire français au PC de Zitouni Parmi elles, «un homme, blanc de peau, les cheveux châtains, âgé entre 54 et 56 ans, bien habillé, donnant l'air d'être important et accompagné d'un enfant de 12 ou 13 ans», révèle Abderrahim. Il apporte des précisions troublantes : «Hocine Flicha l'a ramené vers 14h du quartier Château-Rouge, jusqu' au centre de transit de Remili. Hocine Beziou, dit Mossaâb, alors conseiller de l'émir de djound de Bougara, m'a demandé de l'accompagner jusqu'à Sbaghnia. Tout au long de la route, l'invité ne dit mot. Nous arrivons au petit jour. Nous nous reposons, quelques heures après Zitouni arrive. Il discute avec lui toute la journée, pour ne quitter le lieu de refuge que le lendemain, accompagné d'une autre personne et par un autre circuit vers Tablat». Après le silence, la panique En date du 15 mai, l'armée lance une opération de ratissage sur les monts de Bougara et en cette même journée, la DST se manifeste après avoir observé un silence de 9 jours. Elle s'inquiète. Dans le rapport de Rondot, il est écrit. «Le 15 mai, à 11h 50, appel téléphonique du préfet Parant au général Smaïl Lamari pour lui demander son interprétation du silence du GIA. Le DCE répond que son message du 6 mai reste toujours valable.» Que s'est-il donc passé avec l'émissaire ? Elargi en 2000, B. Abdelhafid, dit Abou Chaïma, ex-membre de la commission théologique, nous donne la réponse. Il était à Tala Acha, lorsque les moines ont été enlevés. Il raconte : «Zitouni avait chargé quelqu'un qui n'était pas recherché, habitant le quartier de Château-Rouge ou les Eucalyptus, d'aller à l'ambassade de France. Redouane Makador, membre influent de la direction, m'avait révélé qu'au début, il y avait un problème entre l'ambassade et leur ministère des Affaires étrangères. Mais après, il y a eu un émissaire, auquel Zitouni a donné Al amane pour venir négocier au PC. Il a demandé à voir les moines, avec lesquels il s'est entretenu durant dix minutes. A sa sortie, Makador, architecte de formation, a remarqué qu'il portait une montre un peu bizarre. En la lui enlevant, il a découvert une puce de géo-localisation. Il l'a cassée, et exigé de l'émissaire de partir. Les moines étaient toujours vivants à ce moment-là. C'est une histoire véridique». Durant cette période, Hassan Hattab arrive à Tala Ser/Aïssaouia. Le jour même, il rencontre Zitouni qui lui fait part, entre autres sujets, de l'affaire des moines et de sa négociation en cours. «J'étais avec Zitouni, lorsqu'il a donné l'ordre par radio d'exécuter les moines. C'était quatre jours après mon arrivée au PC. Il a tenté de justifier cette décision par l'imminence de leur découverte et leur salut par l'armée.» Il m'a lancé : «De toutes façons je les ai tués, ils faisaient etansire (l'évangélisation)», déclare Hassan Hattab lors de ses aveux aux services de sécurité. Selon le repenti Djamel M., durant cette même période, Zitouni a dépêché cinq membres de la katiba Al Khadra pour ramener les moines à Tala Acha. «Il s'agit des nommés Abou Ishaq de Bougara, Rachid Abou Tourab, Omar Abou Al Haïtem. Ils arrivent au centre de transit où je me suis entretenu avec eux un bon moment, avant de rejoindre avec eux la zone de Kef Laarayes/Tala Hofra, le nouveau lieu de séquestration des moines. Les émissaires de Zitouni y restent près de quatre jours, puis repartent avec les têtes des moines dans des sacs de jute. Nous savions qu'ils les avaient tués, puis emportés leurs têtes après, en enterrant les corps sur place…», dit-il. Sur cette période d'autres témoignages de repentis apportent des précisions qui permettent de situer la date de l'assassinat des moines. Ainsi, le repenti A. Abdelkader, reprenant les propos du terroriste Chahba Mouna Djamel, avec lequel il était très lié, affirme que «les moines ont été exécutés après 53 jours de séquestration à compter de la date de l'enlèvement du monastère». Un autre terroriste, Guechniti Redouane, est moins précis, mais situe leur mort «entre le 15 et le 20 mai, c'est-à-dire durant l'opération de l'ANP», en précisant qu'«ils ont été tués par balles, puis décapités quelques jours plus tard». En date du 22 mai 1996, l'armée se redéploie une seconde fois sur la même zone des opérations, comme la première fois entre le 15 et le 20, avec le repenti B. Fethi. L'inquiétude de la DST La DST reçoit un fax chiffré du général Smaïl, «faisant état de renseignements révélés par un repenti localisant les otages à Tala Ser, détenus par la katiba El Khadra dépendant de Djamel Zitouni». C'est la panique. La DST demande le 22 mai, à 9h 05, au général Smaïl «quelle exploitation opérationnelle il comptait donner à ce renseignement». Sur place les militaires trouvent un camp déjà déserté, et situent les emplacements des moyens de communication et de transmission utilisés par Redouane Makador. Est-ce la récupération de ce matériel qui inquiète la DST ? On n'en sait rien. Mais, en cette soirée du 22 mai, la radio Medi 1 reçoit le communiqué n° 44 du GIA annonçant l'exécution des moines par «égorgement», qu'elle diffusera le 23 mai. A 15h, ce même jour, Colin Deverdière nous apprend que le GIA a fait savoir à la radio Medi 1 que les sept moines ont été exécutés le 21 mai. Sur le communiqué en question (N°44), on lit : «Ils ont interrompu ce qu'ils avaient commencé, et nous avons coupé la gorge des sept otages, en respect à ce que nous avons promis ( …) et cela s'est passé ce jour dans la matinée.» Daté du 21 mai 1996, le document est signé par Abou Abderrahmane Amine, émir du GIA. Le 26 mai, le journal français La Croix annonce «la découverte des têtes des moines» avant même qu'elles ne soient retrouvées (le 30 mai). Le même jour le Journal du Dimanche soulève un tollé dans les milieux religieux et politiques français. Il écrit qu'«un moine de l'abbaye d'Aiguebelle, le père Gérard, rapportait une conversation qu'il avait eue le 21 mai avec une certaine Mme Casanova, de son vrai nom Julia Albertini, dont il avait fait connaissance au monastère, en mars, alors qu'elle y faisait une retraite. Elle lui avait confié que son mari, haut fonctionnaire français et diacre, connu pour ses missions humanitaires, avait rendu visite aux moines dans les maquis, le 14 mai, pendant dix minutes (…) il leur avait donné la communion et remis à Luc des médicaments pour son asthme (…) La date de la visite correspondait, à deux jours près, à la fête de l'ascension, très importante pour les moines». Ces révélations provoquent des réactions virulentes des responsables français, notamment celle d'Hervé de Charette qui nie l'existence «d'un quelconque envoyé» et qualifie cette histoire d'«invraisemblable». L'historien américain, Jean Kiser, affirme dans son livre enquête intitulé Passion pour l'Algérie, les moines de Tibhirine, paru en 2003 et réédité en 2010, que le supérieur de père Gérard, Dom Yves De Broucker, «a reçu un coup de téléphone d'un haut fonctionnaire du ministère lui demandant de contacter le Journal du Dimanche et de démentir l'information. Malgré les pressions, le père Gérard maintient sa version des faits».