Le jeune capitalisme algérien est au seuil d'un grand casting. Celui de ses forces en présence. Qui va profiter de l'ouverture annoncée de l'audiovisuel ? Partout dans les pays où le monopole public sur la diffusion de l'image et du son a été levé, la reconfiguration du champ de l'audiovisuel a été un révélateur de l'architecture «politique» des filiations dans le monde des affaires. En France, en 1986, le gouvernement de Chirac a privatisé TF1. Le groupe Bouygues, sélectionné dans la «short liste», était un proche. Une année auparavant, c'est le président Mitterrand qui couvait la naissance de Canal + dirigée par son ami André Rousselet. Les futurs projets en Algérie seront donc filtrés par l'instance du politique. Le projet de «réforme» l'annonce déjà de manière à peine cachée. La disposition qui soumet à agrément la création d'une chaîne de radio ou de télévision a doublé les conditions : une convention entre le promoteur et la future instance de régulation de l'audiovisuel d'abord et un feu vert du gouvernement ensuite. Autant dire que c'est dans le bureau présidentiel que tout se décidera. Une absurdité. Car l'industrie de l'audiovisuel n'a pas besoin d'une telle barrière d'entrée. Surtout plus aujourd'hui. Elle est l'activité hyperconcurrentielle par excellence. Exposée au monde. Elle n'a pas besoin d'un corsetage politique à la source. Elle naît et grandit dans un péril ambiant: manquer son public, ne pas rencontrer d'audience. Alors que la mise est toujours importante. Pour s'aligner sur le standard maghrébin de la capitalisation des télévisions privées généralistes, 2,5 milliards de dinars paraissent un seuil «naturel». Gros apport pour un retour aléatoire. A l'ère des orages satellitaires et des terminaux 3G, l'industrie de l'audio visuel n'a plus de publics captifs. Elle est très loin de garantir une influence aux «faiseurs d'opinion». Le monopole public de la télévision nationale lui-même n'y arrive plus. Plus agressive que le conteneur chinois, l'image du ciel lui enlève publics et annonceurs aussi. Des budgets publicitaires algériens font grandir Nessma TV. Perdre de l'argent est souvent plus probable que d'en gagner dans le radio télédiffusion. Les goûts des publics deviennent volatiles sous le mitraillage. Les annonceurs récalcitrants sous la bourrasque du choix multiple. Les comptes financiers des chaînes à programme, dans le monde émergeant, sont souvent consolidés dans les bilans financiers de groupes multimédias à spectre large. Pour toutes ces raisons, tous les puissants leaders de groupes ne cherchent pas à se diversifier en s'ajoutant le métier des «médias lourds». Et c'est tant mieux. Le pouvoir politique a objectivement tout intérêt à laisser faire le marché dans cette nouvelle compétition. Sa seule sélection sera féroce. Si Abdelaziz Bouteflika peut avoir plus d'affinités, disons, par exemple, avec le projet de Ali Haddad qu'avec celui de Issad Rebrab, la délivrance des agréments gagnerait à rester en dehors du jeu. Ce n'est pas l'habitude du milieu. Cette fois, il faudra pourtant se transcender pour espérer rattraper les 20 années perdues. En 1990, l'ENTV était en position de devenir El Jazeera avant l'heure. Elle vendait des droits d'image de la première guerre du Golfe au monde entier. Elle était adossée à une transition démocratique sans équivalent dans la région. Avortée. Aujourd'hui, c'est de l'émergence d'une filière professionnelle entière avec ses milliers d'emplois, sa sous-traitance, son savoir-faire et ses retombées à l'international qu'il s'agit. L'option d'avenir pour un pilotage politique éclairé est d'aspirer le plus d'acteurs dans ce nouveau territoire ouvert enfin à l'investissement pour espérer, par effet de condensation, faire monter deux ou trois poids lourds régionaux du «broadcasting». La place des projets professionnels, comme celle des éditeurs de la presse écrite, prend ici tout son sens. En 2021, l'Algérie restera toujours, et loin devant, le premier PIB du Maghreb et deviendra sa population la plus nombreuse. Si alors à cette échéance des dix ans, par l'audience et le chiffre d'affaires ne figurent pas trois chaînes TV algériennes dans le top 5 de la région, la réforme de l'audiovisuel de Abdelaziz Bouteflika aura, tout comme ses trois mandats, continué de figer le temps. Lorsque la planète l'a numérisé.