Limitées auparavant à l'opposition et aux téléspectateurs algériens qui sont nombreux à ne pas se reconnaître dans le produit télévisuel algérien, les critiques dirigées contre l'ENTV ont gagné depuis peu les sphères du pouvoir. L'hallali semble avoir officiellement sonné à la faveur du dernier Conseil des ministres, lors duquel un réquisitoire en règle avait été dressé contre l'Unique par le président de la République qui a résumé l'indigence de son contenu par cet aveu lourd de sens : «Nous n'avons pas de télévision !» a-t-il déploré sentencieusement. Le ministre de la communication, Nacer Mehal, a enfoncé un peu plus le clou dans une rencontre dimanche avec les journalistes d'El Khabar en lançant, à son tour, ce cri de détresse : «Je pleure pour notre télévision», s'est-il apitoyé, révélant que le président Bouteflika lui a donné carte blanche pour doter l'Algérie d'une télévision new-look à la mesure des attentes des citoyens. Les Algériens, qui ne regardent plus ou sinon d'un œil très distant les programmes de l'ENTV depuis l'intrusion de la parabole, apparaissent comme déroutés par ce sursaut brutal émanant de l'intérieur du système qui découvre, après tant de dégâts, que l'Algérie n'a pas la télévision qu'elle mérite. Dernier vestige du parti unique après l'instauration du multipartisme et du pluralisme dans les médias, à l'exclusion du secteur de l'audiovisuel qui est demeuré, deux décennies après le démantèlement du système du parti unique, rétif à toute ouverture, l'ENTV a-t-elle fait, à sa manière, de la résistance en se complaisant dans la médiocrité et l'immobilisme, tournant le dos à la société et à ses mutations dans tous les domaines ? Le système qui a enfanté l'ENTV n'a-t-il donc aucune responsabilité dans le visage hideux que présente aujourd'hui la Télévision nationale ? Est-on subitement frappé d'amnésie au point d'oublier ou de feindre oublier que la télévision algérienne fut investie d'une mission de propagande au service du système ; une mission qui a survécu même après les transformations politiques qu'a connues le pays au cours de ces deux dernières décennies ? Cette télévision que l'on voue aujourd'hui, avec raison, aux gémonies – il ne s'en trouvera aucun Algérien censé pour pleurer le sort qui semble désormais lui être réservé – est intimement liée au système dont elle fut le porte-voix et le défenseur, souvent zélé, pour croire que le mal de la télévision algérienne est interne à l'ENTV, qu'il est dû seulement à une question d'incompétence, exonérant de ce fait la responsabilité première, pleine et entière, du pouvoir politique dans ce que l'on a fait de cette télévision. Autrement dit que c'est une question uniquement d'hommes et non pas de volonté politique. On est en plein dans la télévision, troisième dimension, version algérienne. Ah ! si la télévision pouvait nous être contée de l'intérieur par ceux qui la font ! Si les langues pouvaient se délier ! On saurait alors tout sur l'instrumentalisation politique de la télévision poussée jusqu'à son paroxysme. Parce que le système n'a pas changé de nature, même s'il a ravalé sa façade institutionnelle et démocratique, beaucoup ont accueilli avec une moue dubitative l'annonce de l'ouverture au privé du secteur de l'audiovisuel et le recentrage de l'ENTV autour de sa mission de service public.