Selon Abdelghaffar Shokr, les jeunes Egyptiens sont suffisamment matures pour conduire la révolution dans le pays. Le Printemps arabe ne passe toujours pas inaperçu au 16e Salon international du livre d'Alger (SILA) qui ferme ses portes aujourd'hui sous le chapiteau dressé sur l'esplanade du 5 Juillet. Le sujet est inévitable. Le professeur en sciences politiques égyptien Mohamed Hilmi Chaâraoui a parlé avec passion de la révolte qui a neutralisé le régime des Moubarak : «Nous avons arraché le droit à l'organisation politique libre. Des syndicats indépendants sont créés sans aucune contrainte. Cela va encourager l'engagement des citoyens à la revendication précise des droits», a-t-il dit comme pour rappeler que la dictature mise à terre violait les droits politiques et étouffait les libertés démocratiques. Ce fondateur du Centre de recherches arabes et africaines du Caire a souligné qu'en raison de ces interdits, les Egyptiens ont perdu quelque peu le réflexe de l'organisation et du combat politique. Selon lui, Hosni Moubarak a faire perdre à l'Egypte sa dignité en entretenant «l'absence» sur le plan extérieur. «L'une des missions du régime déchu était notamment de ne rien dire sur la crise du Darfour au Soudan et sur les souffrances du peuple palestinien», a relevé Hilmi Chaâraoui. Cette situation a, selon lui, provoqué la naissance de la diplomatie populaire marquée par l'attaque contre l'ambassade d'Israël au Caire. «Les jeunes ont voulu lier la dignité de la révolution à celle des relations extérieures», a-t-il argué. Le réveil égyptien L'historien égyptien Abdelghaffar Shokr, chercheur également au Centre des études arabes et africaines du Caire, a estimé que les changements positifs qu'introduisent les révolutions méritent les sacrifices : «En tout cas, l'avenir d'après les révolutions est toujours meilleur. Les gens qui se sacrifient pour sortir de l'enfer le savent bien.» Cet ancien animateur de l'Organisation des jeunes socialistes arabes a estimé que les jeunes Egyptiens sont suffisamment matures pour conduire la révolution et la mener au bon port. Il a cité le courageux Mouvement du 6 avril qui tient tête actuellement à la direction militaire qui gouverne provisoirement l'Egypte. «Donc, nous savons qui a provoqué et géré la révolution. Il s'agit de ces jeunes !», a répliqué Abdelghaffar Shokr pour ceux qui, parmi les présents au débat, voyaient «le complot» sous les fenêtres de toutes les maisons ! «L'influence étrangère ne peut avoir lieu que s'il y a des failles internes. Aucun complot ne peut réussir dans un pays où la démocratie, la liberté, l'égalité des chances, la justice, la prospérité sociales et l'efficacité économique sont assurées», a-t-il insisté. Le libanais Fawaz Traboulsi, historien et professeur de sciences politiques à l'université américaine de Beyrouth, a, pour sa part, estimé qu'il faut être patient en ce sens que le Printemps arabe ne peut pas s'arrêter à une seule saison. Il a cité l'exemple de la longue transition démocratique européenne qui a duré trois siècles : «Démanteler les régimes de l'oppression dans le monde arabe et instaurer des gouvernements représentatifs des populations ne peut pas se faire en six mois. Les régimes actuels sont là depuis au moins quarante ans ; ils bénéficient de l'appui occidental et des richesses pétrolières ; ils utilisent cette rente pour corrompre les gens. Ces régimes sont dotés d'armées.» Le printemps dure plus qu'une saison «L'un d'eux, préparé à faire la guerre à Israël, détruit les villes syriennes actuellement», a analysé Fawaz Traboulsi. L'essentiel est, selon lui, de demander des comptes aux régimes qui ont refusé d'accéder aux demandes de leurs populations. Il a rappelé qu'au début, les manifestants pacifiques syriens avaient demandé la levée de l'état d'urgence : «Presque une centaine de contestataires ont été tués pour avoir exprimé cette revendication.» Il a indiqué que la loi sur l'état d'urgence a été remplacée par un code antiterroriste qui donne carte blanche aux militaires syriens de violer les libertés et de piétiner les droits humains comme ils le veulent. «En Syrie, on peut accuser n'importe quelle personne de terrorisme et la tuer froidement. Le régime de Damas refuse toute revendication politique venant des citoyens de ce pays. Rappelez-vous, un zaïm arabe a qualifié son peuple de rats (El Gueddafi, ndlr) et a engagé une entreprise de tuerie. On demande des comptes aux victimes et on oublie de le faire pour les bourreaux ! Il n'y a pas de violence ou d'anarchie, il y a des régimes qui massacrent leurs peuples, c'est tout», a souligné l'universitaire. Selon lui, le Hezbollah libanais perd chaque jour des partisans et des fidèles en raison de son soutien au régime Bachar Al Assad. Hilmi Chaâraoui a observé qu'en Afrique, deux concepts politiques ont émergé ces dernières années grâce à des revendications récurrentes des sociétés : partage du pouvoir, partage des richesses. Cela est particulièrement visible au Nigeria et au Soudan, deux pays parmi les plus riches du continent. «En Egypte, nous avons découvert que la richesse du pays était entre les mains des voleurs. Il y a, dans nos pays, un lien étroit entre le pouvoir politique et l'argent», a-t-il relevé.