La structure de l'émergence, de l'approfondissement et des schémas thérapeutiques de l'économie mondiale est entrain de connaitre de profondes mutations. Nous entrons à peine dans une zone de haute turbulence qui met en péril les acquis de la période de croissance des trente glorieuses. La science économique, prise isolément, ne détient pas les clés de sortie de crise. Il faut faire appel à tout l'arsenal des sciences humaines et notamment les sciences politiques pour effectuer un diagnostic profond et se rendre compte que nous n'avons pas encore produit les solutions aux maux qui rongent l'économie mondiale. Le sujet est complexe et une myriade de paramètres et de mécanismes entrent en jeux. Nul ne peut les cerner et comprendre parfaitement leur interconnexion. Lorsqu'on affronte un sujet d'une pareille ampleur, on ne peut qu'être modeste et stupéfait par la variété des processus qui configurent l'économie mondiale. Je voudrais seulement souligner et expliciter deux causes fondamentales qui grippent la situation et risquent de la tenir en otage pour de nombreuses décennies à venir : la logique du secteur financier international et la conduite des politiques macroéconomiques. Dangereuse émancipation de la sphère financière Il devient plus intéressant, pour un agent économique, d'opérer dans la sphère financière que dans le secteur productif. 50% des bénéfices des entreprises US se font dans les crédits, les ventes et les achats de titres financiers. Une partie de cette activité est utile et incontournable. Le secteur financier prospère autant par temps de croissance soutenue que par période de crise. Parfois, il est incité à produire ces dernières pour profiter des mécanismes qui lui permettent de s'enrichir alors les économies sombrent dans le gouffre : le « sell short » en est la technique de base. La crise asiatique de 1977 a été initiée et approfondie par le secteur financier international. Peu de responsables avaient considéré une refonte totale de ce système. Mais lorsque ce même système financier produisit la même chose pour les pays occidentaux, en l'occurrence, la crise des « Subprimes », les responsables du G20 avaient promis de le remettre à plat le système pour débarrasser une fois pour toute l'économie mondiale des comportements anormaux du monde de la finance. Mais c'était sans compter sur l'impact du lobbying de cette sphère. La montagne avait accouché d'une souris. La crise d'une petite économie, comme celle de la Grèce, fut amplifiée et transformée en menace planétaire par le biais du mécanisme des anticipations d'autres revers qui sont en train de s'auto réaliser. Ceux qui ont proposé des réformes profondes et sérieuses (Tobin taxe) risquent d'attendre très longtemps avant qu'on les prenne au sérieux. On attend sans doute que l'économie mondiale soit terrassée par des financiers peu scrupuleux pour pouvoir réagir. Mais ce là risque d'être trop tard. Avec la déconfiture du marxisme nous n'avons aucune alternative disponible à une économie de marché correctement régulée. Des politiques macroéconomiques à revoir Le second aspect du problème réside dans les politiques macroéconomiques pratiquées par les Etats depuis une vingtaine d'année. Il leur a été suggéré de recourir au déficit budgétaire en période de crise pour améliorer la demande et produire plus d'emplois. Ceci est saint et relève des bonnes pratiques de gestion macroéconomique. Et à juste titre, les différents gouvernements ne se s'en pas privés. Cette pratique avait amélioré la situation et la croissance bien que cette dernière demeurait insuffisante dans de nombreux pays. En effet, à partir de 1974 le taux de croissance se réduisit de plus de 30% dans la plupart des pays industrialisés. Mais il y avait des cycles (hauts et bas) économiques qui continuaient à sévir. La gestion budgétaire devait être prudente. On dépense plus en période de crise mais on devait avoir des surplus budgétaire lorsque l'économie fonctionnait bien pour constituer des trésors de guerre. Hors, les politiciens aiment dépenser et faire croire à leur population qu'ils pouvaient raser gratis. La constitution de déficit, même en période de crise, fut l'innovation majeure des Etats modernes et des politiciens peu scrupuleux de ce qui peut arriver à long terme. La Grèce, l'Irlande, l'Italie, les USA et bien d'autres pays continuaient à dépenser plus et emprunter même lorsque leur économie fonctionnait bien. Le secteur financier était heureux de leur prêter. Il se passe après quelque chose de bizarre. En période de forte crise, le secteur financier exige des politiques qui aggravent la situation (réduire les dépenses) au lieu d'impulser la demande et l'emploi par plus d'expansion. Les exigences du secteur financier sont totalement contradictoires avec celle d'une amélioration durable de la situation. L'économie mondiale est encore prise en otage à l'intérieur de ce cercle vicieux. Tant que les politiciens n'ont pas trouvé un mode de régulation internationale efficace, les cycles de crise vont s'accentuer et devenir de plus en plus fréquents. Nos stratèges ont besoin d'intégrer cette dimension dans leurs calculs économiques. Sinon; nous serions surpris par les évènements au lieu de les prévoir.