Trois jours après les crues, El Bayadh patauge encore dans la gadoue. Des employés de la commune et de l'Office d'assainissement (ONA) s'affairaient encore hier à nettoyer les principales artères de la ville, toujours couvertes par la boue. Par centaines, des habitations et des commerces érigés sur les berges de l'oued. El Bayadh se sont effondrés, offrant l'image d'une ville dévastée. Plusieurs personnes sinistrées, rencontrées aux quartiers El Graba, Mahboula, Base Bouchrit, Ras Lacot et Oued Ferane, ne cachent pas leur colère devant la lenteur des secours et l'absence de prise charge de la part des autorités locales. La colère est à la mesure du dénuement et de la misère de centaines de sinistrés réfugiés, depuis, dans quatre écoles primaires. Jusqu'à hier, elles refusaient de rejoindre le centre d'accueil et d'aide aménagé par les autorités locales dans les locaux de l'ancienne usine de chaussures (ex-Sonipec). Se sentant abandonnés, ils ont d'ailleurs obligé le ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kblia, à écourter sa visite qui l'a mené lundi à El Bayadh (ex-Geryville). Le ministre était venu réaffirmer la «détermination» de l'Etat à prendre en charge, par «un programme spécial», les familles sinistrées. Panique sur la ville «Tout s'est passé très vite, les fortes précipitations ont provoqué, en l'espace d'une demi-heure, des crues qui ont atteint dix mètres de hauteur», affirme Fethi Ahmed, épicier au quartier d'El Graba. C'est d'ailleurs au niveau de ce quartier que les plus importants pertes humaines et des dégâts matériels ont été enregistrés. «La panique s'est vite emparé des habitants du quartier, suivi d'une véritable crise d'hystérie», dit-il, tout en montrant du doigt le pont d'El Graba en ruine. «L'oued n'a repris son lit qu'après la prière d'el icha, laissant derrière lui une ville meurtrie», poursuit-il. Toujours à El Graba, plusieurs familles refusent de quitter leurs domiciles de crainte d'être pillés. Des vols ont eu lieu dans la nuit de samedi au dimanche, les poussant à s'organiser en comités de vigilance. «Des groupes d'autodéfense, armés de gourdins et de couteaux, ont été créés à travers les principales zones sinistrées», confie Hamadi Fayçal, un jeune du quartier. Au lieudit Aïn El Mahboula, l'une des parois du tout nouveau musée d'El Moujahid a été saccagée par les eaux de l'oued. A cet endroit, le pont reliant les deux berges de l'oued El Bayadh a cédé au bout de quelques minutes seulement, rapportent de nombreux témoins. Des équipes de l'ANP devaient installer hier un pont mobile pour désengorger la circulation automobile dans une ville coupée en deux. Au centre d'accueil de l'ex-Sonipec, le sous-directeur de l'Etablissement de santé de proximité (ESPSP), M. Belgacemi affirme que «toutes les conditions sont réunies pour l'accueil des familles sinistrées». 26 cas de gale Il indique que trois centres de consultation ont été ouverts dans les écoles occupées par les sinistrés pour «parer au plus urgent». M. Belgacemi révèle, par ailleurs, que des maladies contagieuses se sont déclarées, nécessitant une prise en charge immédiate. Selon notre interlocuteur, 26 cas de gale ont été recensés depuis dimanche dernier à travers plusieurs écoles. La propagation de cette maladie contagieuse est due, explique-t-il, à l'utilisation de vêtements usagers fournis aux sinistrés, dans un élan de solidarité, par de nombreux citoyens. «Face à cette situation, nous avons demandé au service de sécurité d'intervenir pour empêcher que des vêtements usagés soient distribués aux sinistrés», dit-il. Mais le plus urgent, selon lui, est de mobiliser des équipes de médecins spécialistes pour prendre en charge des cas qu'il juge difficile. «Nous avons besoin de médecins, d'infirmiers et de spécialistes, car nos équipes sont complètement épuisées», réclame-t-il. A l'école Ibn Khaldoun, l'atmosphère est lourde en cette matinée de lundi.Des centaines de familles s'entassent dans cet établissement transformé, à la hâte, en centre de transit «informel». Les conditions d'hygiène sont des plus déplorables et la gale, infection contagieuse de la peau, ne cesse de se propager. «Nous avons procédé à la mise en quarantaine de six personnes. Elles ont été hospitalisées dans l'Etablissement de santé de proximité (EPSP) pour prévenir une contagion à grande échelle», révèle le docteur Bekri. Médecin bénévole au centre de soins improvisé à l'école Ibn Khaldoun, elle signale deux cas d'avortement depuis samedi. «Nous subissons une énorme pression. Personnellement, il serait préférable de transférer tout le monde vers le centre de l'ex-Sonipec pour éviter d'autres épidémies.» Ici, plusieurs femmes, certaines enceintes, d'autres avec leurs nouveau-nés, occupent une salle de l'école, refusant catégoriquement d'être recasées à l'ex-Sonipec. «Nous ne faisons pas confiance aux responsables locaux. Dans quelques semaines, personnes ne se souciera de notre sort», dira Ouissi Allel, chômeur, 35 ans. «Nous sommes là depuis quatre jours et nous n'avons reçu aucune aide des pouvoirs publics», ajoute-t-il. Et de préciser : «C'est grâce à l'action de citoyens bénévoles que nous avons pu préparer les repas et aménager les classes pour accueillir nos familles.»Un autre sinistré l'interrompt pour dénoncer les faux sinistrés qui escomptent bénéficier indûment des aides promises par les pouvoirs publics. Les élèves ont repris dans la matinée d'hier le chemin de l'école, non sans crainte d'éventuelles averses synonymes, désormais, de désastre.Hier en fin d'après-midi, la vie reprenait à peine son cours. Des groupes de citoyens s'efforçaient de retrouver les siens. Certains parcourant des dizaines de kilomètres, tout au long du maudit cours d'eau, dans l'espoir de trouver un proche, un ami, un voisin.