Chaque jour, Fadhma Bouhanik berce par sa voix veloutée ses auditeurs pour leur faire découvrir la beauté du verbe. Beaucoup d'auditeurs et d'auditrices de la Chaîne II de la Radio nationale ne connaissent que la voix de cette élégante femme, altière, résistante, patiente, fière et… aveugle, intervenant fréquemment sur la chaîne kabyle. Cette femme, c'est – chacun y va de son vocable – Fadhma Bouhanik de Taguemount Azouz, Fadhma n'Ath Douala, Fadhma n'la Chaîne II, etc. Tous et toutes adorent l'écouter lorsqu'elle intervient à l'antenne, tant «elle dit des choses sensées, raisonnées, c'est ainsi qu'est Fadhma ; il n'y a pas plus juste qu'elle…», disent d'elle Hocine Rebaïne, éducateur, et sa femme, Nouara, artiste en peinture et en broderie. Fadhma est poétesse, spontanée, improviste. Cette longiligne femme, telle une pyramide, peut sur- le-champ vous déclamer un poème, improvisé, adapté à la circonstance ou à la réalité du temps. Depuis sa naissance, Fadhma est nourrie, abreuvée par cette terre arrosée de l'eau limpide du Djurdjura et du sang sain et sacré des poètes et des martyrs, cette terre qui a vu naître de ses entrailles les Rachid Alliche, Feraoun, Mammeri, Matoub Lounès et tant d'autres. Comment ne pas être de ces poètes lorsque l'on a tété des saveurs tirées des «pis» de ces pics austères, mais hospitaliers, du Djurdjura ? L' «enfant» de Taguemount Azouz est devenue aveugle à 15 ans, à cause d'erreurs médicales (?), bêtise humaine due à la pauvreté des parents et conjuguée à «l'autorité» des services d'un hôpital à Alger où elle a subi, en 1966-1967, trois interventions chirurgicales ? «La fille de pauvres», a-t-elle servi de cobaye ? Elle ne le sait pas. Aujourd'hui, Fadhma Bouhanik vit avec des «sublimes» images conservées dans la «mémoire vive» de son adolescence, quoique mature de ses 60 années. Elle vit par la radio et pour la radio, «sa» Chaîne II, son seul support psychologique, ainsi que les auditeurs ou animateurs. Elle ne voit qu'avec les yeux de son cœur, un cœur gros comme ça : un vaste océan, gros d'altruisme. De sa voix limpide, elle chante, seule, son Matoub, ses poètes, ses racines, sa terre, ses ami(es). Ses yeux, ce sont aussi ces Nouara et Hocine Rebaïne, sa maman, encore en vie, altière et juste, «telle mère, telle fille», dirait-on.
Tous l'entourent, comme elle les entoure, lorsqu'il leur arrive de vouloir «craquer». Nouara et Hocine ne peuvent sortir ou partir où ils veulent sans leur «aile d'envol», leur Fadhma, en voiture ou à pieds, où elle veut, et elle ne veut que lorsque ces deux «pupilles» de ses yeux veulent, insistent à ce qu'elle accède à leur vœu. Surtout que pour ce couple, les «deux yeux de Fadhma», le plaisir de toute virée hors du village sans leur poétesse, reste incomplet. «Pour nous, Fadhma c'est notre bibliothèque orale, en poésie ou autre.» A tous ceux ou celles qui ne connaissent pas physiquement Fadhma, mais l'aiment beaucoup, tel votre serviteur, pour sa poésie adoucissante, pour sa voix veloutée, berçante, Fadhma Bouhanik soufflera, le 22 octobre, ses 60 bougies. Mais elle n'en a vu que 15, elle en vit avec les couleurs qui ont colorié son adolescence. Les 45 autres années, dit-elle, «m'ont fuit, abandonnée aux ténèbres, au silence…» Un silence, certes, mais qui revivifie sa résistance, sa poésie. Joyeux anniversaire, Fadhma ! Nous t'écoutons, nous t'aimons et te voyons, même si toi, tu ne nous vois que par ton cœur, ton gros cœur, emplit de nous tous, du genre humain…