Le drame du 17 octobre 1961 inspire aussi les auteurs de BD. L'un d'eux, Albert Drandov, ex-journaliste français qui poursuit désormais ses enquêtes sous la forme d'albums BD, raconte pour El Watan Week-end comment il a procédé. Et les dessous de La Cagoule, histoire réalisée spécialement avec le dessinateur espagnol Alberto Jiménez Alburquerque pour le 4e Festival international de la BD et le cinquantenaire du 17 octobre. -Qu'est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire, somme toute assez tragique ? Depuis que j'ai glissé du journalisme à la bande dessinée, j'ai toujours eu en tête de mettre en BD cette affaire du 17 octobre 1961. La première raison est que j'ai été très énervé, voire vexé, d'avoir connu si tard cette histoire. Figurez-vous que je n'ai découvert ce drame qu'en lisant le roman de Didier Daeninckx Meurtres pour mémoire, alors que j'avais déjà 23-24 ans. La honte quoi ! (rires). L'autre raison est que j'ai du mal à digérer que le pays des droits de l'homme ait pu produire un tel crime d'Etat dans la ville des lumières et surtout qu'il l'ait dissimulé aussi longtemps. Mais bon, je suppose que chez vous aussi, il y aurait de quoi faire 300 BD avec les mensonges d'Etat de ces cinquante dernières années… -Avez-vous rencontré des difficultés dans votre travail de recherche ? Non, pas vraiment. Beaucoup a déjà été fait sur ce thème. Grâce à l'inestimable travail de l'historien Jean-Luc Einaudi. Il y a aussi les mises en perspective historique de Benjamin Stora et le récent ouvrage des historiens Jim House et Neil MacMaster. Enfin, l'on dispose de toute une série de témoignages qu'il suffit de chercher un peu. Du coup, j'ai commencé par lire tout ce qui s'était produit. J'ai jeté l'éponge ! Puis j'ai tiré certains fils pour voir où ils pouvaient bien me mener. Avec cette histoire de Khaled, ce fut assez simple. Le témoignage écrit de Khaled Benaïssa existait déjà dans une version courte. J'ai eu la chance de pouvoir le rencontrer. Il m'a raconté avec beaucoup de détails et de sensibilité ce qu'il avait ressenti comme gamin lorsque son père l'a emmené à la manifestation du 17 octobre. Et ses peurs d'enfant lorsque la police a tiré sur la foule. C'est ce qui m'a donné envie de raconter cette histoire à travers le regard d'un enfant. -Sentez-vous que les choses ont évolué ? Que les gens en savent-plus aujourd'hui sur cet événement historique en Europe ? Franchement, les choses évoluent très doucement. Brrien sûr, il y a des associations de mémoire qui font beaucoup, malgré de faibles moyens. Il y a l'insistance de plusieurs chercheurs, certains élus, quelques journalistes, mais dans le fond lorsque l'on interroge l'homme de la rue… (soupire). Au regard de l'ampleur du crime commis, cela devrait être pourtant connu de tous. L'Etat en est encore le principal frein. -Allez-vous sortir un album sur ce thème spécifique ? Pour l'heure, non. Mon projet est bouclé, avec déjà trois histoires courtes écrites et découpées. Le dessinateur, Alberto Jiménez Alburquerque, qui a fait cette histoire-là, est partant, mais je n'ai pas trouvé d'éditeur. L'un d'eux m'a d'ailleurs dit que c'était risqué commercialement et que ça n'intéresserait personne. Je préfère penser que mes scénarios n'étaient pas pertinents. -Vous êtes également auteur de la BD Au nom de la Bombe. Histoires secrètes des essais atomiques français ou de l'album Amiante, chronique d'un crime social. Votre travail se situe toujours entre la BD historique et celle de reportage ? C'est un peu ça oui. C'est une vieille maladie que j'ai contractée tout gamin. L'actualité, l'histoire, le réel, les gens «d'en bas», les «invisibles» m'ont toujours intéressé. Bref, j'aime toujours regarder ce qu'il y a en dessous d'une belle nappe. Et je me suis toujours méfié des discours des gens du pouvoir. Quels qu'ils soient. Comme disait un vieux camarade de jeu, Montesquieu, «tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser».