Sept des 20 millions de Camerounais ont glissé, hier, leur bulletin dans l'urne pour élire leur président de la République. Une urne fatale qui servira pour la sixième fois de suite l'inamovible Paul Biya. Eh oui, dans ce Cameroun où une personne sur quatre vit avec moins d'un euro par jour et dont le tiers des habitants n'a pas accès à l'eau potable, Paul le «Françafricain» résiste stoïquement à la bourrasque de l'automne des dictateurs. Ce chouchou de l'Elysée a réussi une orchestration électorale digne des grandes démocraties. Avec un aréopage de 22 candidats pour la plupart alibis, le monarque du Cameroun a voulu «vendre» une élection faussement libre et pluraliste pour satisfaire les besoins d'une propagande politique et diplomatique que ses mentors, en France, se chargeront de bien relayer. Du haut de ses 78 ans et ses six mandats présidentiels depuis son coup d'Etat «médical» contre son ex-protégé Ahmadou Ahidjo, le 6 novembre 1982, Paul Biya a pratiquement contracté un mariage à vie – à mort plutôt – avec le Cameroun. Souvent contre l'avis des Camerounais eux-mêmes. Les simulacres de scrutins se suivent et se ressemblent, dans un pays qui aura réussi l'indigne prouesse, sous la gouvernance «éclairée» de sa majesté Biya, de figurer dans le peloton de tête des nations les plus corrompues au monde. Le Cameroun trône également en haut du hit-parade des pays les plus pauvres de la planète. Or, tout se passe comme si ce triste bilan, qui aurait pu coûter à son responsable une condamnation pour non-assistance à son peuple en danger, ne concerne pas l'éternel président du Cameroun. Il est vrai que Paul Biya a toutes les raisons du monde de ne pas s'inquiéter sur son sort aussi longtemps que Paris veille sur son trône. Pour de nombreux observateurs, le président du Cameroun, qui a déjà trituré la Constitution en 2008 pour s'offrir un sixième mandat, ne pouvait prétendre à une telle longévité présidentielle sans l'appui décisif de la France. Pour cause, Biya fait fonction de fondé de pouvoir au Cameroun au profit des groupes français influents qui l'ont porté au pouvoir, et avant lui Ahmadou Ahidjo, pour mieux sauvegarder leur beefsteak dans ce pays. Le lobbying des patrons de Elf et Bolloré en faveur de Biya est en l'occurrence proverbial. Exactement comme furent portés au pouvoir les autres dictateurs comme Denis Sassou Nguesso au Congo, Omar Bongo au Gabon, Blaise Compaoré au Burkina Faso et Idriss Déby Itno au Tchad. Ils ont suivi la feuille de route tracée de main de maître par Jacques Foccart, le fameux père spirituel de la nébuleuse Françafrique. On comprend mieux pourquoi Paul Biya va succéder pour la sixième fois à lui-même. Il est d'autant plus précieux pour la France qu'il fait désormais figure de gardien du temple de la Françafrique après le décès de Omar Bongo. En juillet 2009, Nicolas Sarkozy, qui a cru pouvoir opérer une rupture avec la Françafrique, a fini par dérouler le tapis rouge devant ce «représentant» de la France au Cameroun, voire en Afrique… Ce dernier ne se fit pas prier pour rassurer : «Sachez que le président du Cameroun que je suis est disponible.» Cette offre de service de celui qui se définit comme le «meilleur élève de François Mitterrand» semble avoir conjugué les espoirs des Camerounais au futur lointain.