Voilà un livre qui tombe à pic. Les massacres de Guelma est la meilleure réponse à tous les zélotes du « rôle positif » de la colonisation. L'auteur, décédé en 1996, apporte une réponse posthume à tous les nostalgiques de l'Algérie française. Marcel Reggui, français d'origine musulmane, selon l'expression consacrée de l'époque, converti au catholicisme, a mené sa propre enquête au lendemain des massacres de Mai 1945. Des centaines d'Algériens avaient perdu la vie durant ce mois funeste, victimes de ratonnades des milices. Marcel Reggui avait perdu deux frères et une sœur dans ces tueries collectives. C'est cette rage qui le saisit durant les macabres événements au point de l'inciter à se lancer dans une enquête. Soixante ans plus tard, son témoignage résonne toujours comme le retentissement d'une gifle donnée à tous les fervents du colonialisme. Les massacres commis par des milices de colons dans la petite ville de Guelma sont le point de départ d'une rupture irréversible. Les rapports entre les Européens et les indigènes en seront marqués à jamais. Les deux camps se regarderont longtemps en chiens de faïence. Marcel Reggui souffre d'un amour déçu. A aimer passionnément la France, il lui en voulait pour son aveuglement, son racisme banalisé et son autisme colonial. Son enquête n'a jamais été publiée. Il a déposé son manuscrit chez son ami l'écrivain Jean Amrouche. « Redécouvert récemment par son fils, Pierre Amrouche, ce texte bouleversant enfin ressuscité, accompagné ici de plusieurs documents d'archives en relation avec lui, constitue une pièce essentielle pour mieux connaître l'une des pages les plus sombres et les plus ambiguës de l'histoire coloniale française. » « C'est en 2003, explorant une boîte d'archives oubliée dans les documents de mon père Jean Amrouche, que j'ai trouvé les deux cahiers manuscrits de Marcel Reggui relatant les événements de Guelma de Mai 1945. » Certes, exhumer les cadavres ne les fera pas revivre. Du moins auront-ils une sépulture décente dans les mémoires, et cette révélation pourrait-elle contribuer à rapprocher deux peuples encore opposés par une amnésie lourde de conséquences ? « On ne peut oublier et pardonner que ce que l'on savait », note si justement Pierre Amrouche. Le mérite de Marcel Mahmoud Reggui est d'avoir mis des noms sur les responsables de ces massacres. Son enquête est vertigineuse de détails. Il décortique les responsabilités et l'organisation de ces massacres par des milices. Les différents gouvernements de l'époque se sont employés à étouffer l'affaire. Marcel Reggui avait décidé de donner vie aux morts et désigner les coupables, notables et représentants de l'Etat pour la plupart. « Il ne retrouvera jamais les corps des siens, envolés dans la fumée des fours à chaux », se désole Pierre Amrouche. Avec ce document, il leur a donné une sépulture.