Ces dernières années sont marquées par la détérioration du climat sécuritaire en Kabylie. La criminalité, sous toutes ses formes, enregistre des pics de plus en plus inquiétants. Les actes de vol, les agressions, le trafic de véhicules et de drogue entre autres foisonnent à travers les différentes localités et font ainsi perdre à la région son aspect paisible d'antan. A l'ombre de la montée du banditisme, la Kabylie est devenue, en l'espace de quelques années, une plaque tournante pour les trafiquants de véhicules. Dans certaines régions de Tizi Ouzou, ce phénomène est plus que jamais fréquent et plusieurs axes routiers sont devenus de véritables « coupe-gorges » pour les automobilistes, comme la RN 25 et CW 128 reliant respectivement les daïras de Draâ El Mizan et Boghni à Tizi Ouzou, où d'innombrables chauffeurs ont été la cible des groupes criminels. Les constats des services de sécurité font ressortir que les malfaiteurs agressent souvent le chauffeur pour s'emparer de son véhicule avant de le céder aux garages de la casse automobile qui procèdent, à leur tour, à sa revente, soit en pièces détachées, soit à la falsification de son identité pour l'écouler illégalement sur le marché. Pour cette deuxième option, les trafiquants travestissent complètement le véhicule volé sous un numéro de châssis et une carte grise d'un véhicule réformé. Ce constat a été confirmé, il y a quelques semaines, par le chef de la sûreté de daïra de Draâ El Mizan, lors du démantèlement d'un réseau de trafic de véhicules dans la région. « Les opérations d'investigation que mènent nos services font souvent établir que les véhicules volés sont modifiés et vendus facilement sur le marché sous l'identité d'un véhicule déjà incendié ou accidenté. » Plaque tournante Les véhicules ayant fait objet de vol sont souvent vendus en dehors de la wilaya et ceux qui sont vendus ici proviennent d'ailleurs. Ceci fait que les groupes de voleurs se tissent souvent des réseaux à travers plusieurs wilayas pour faciliter l'interconnexion. Le réseau ayant été démantelé récemment à Draâ El Mizan illustre bien la situation, car sa portée a atteint les wilayas de Bordj Bou Arréridj et Mostaganem. Durant l'année 2005 seulement, on estime à près d'une centaine de véhicules volés dans la wilaya de Tizi Ouzou. L'activité florissante de la casse automobile dans la région est ainsi perçue comme le principal facteur qui encourage le trafic dans la wilaya. Dans la commune de Tirmitine, sur la RN 25 des dizaines d'escrocs ont ouvert des ateliers à ciel ouvert où ils pratiquent le désossement de véhicules, dans une totale impunité de surcroît. La plupart d'entre eux travaillent illégalement et ne possèdent même pas de registre du commerce, affirment certaines sources. Ces garagistes ont des connexions dans de nombreuses wilayas à l'est et l'ouest du pays où ils écoulent facilement le produit volé par le biais de relais locaux. Les habitants de Tirmitine, les riverains de la casse notamment ne cachent pas leur mécontentement, en endossant aux exploitants de ces garages la responsabilité de la dégradation du climat sécuritaire dans cette région. « Depuis que la casse automobile s'est développée dans notre région, le banditisme s'est généralisé », se révolte un sexagénaire de Taâchacht, à une centaine de mètres de « la casse ». Son compagnon enchaînera : « Parfois, nous assistons durant la nuit à des scènes typiquement hollywoodiennes. Les brigands dressent des faux barrages en se faisant passer pour des terroristes. Quand arrive une voiture de luxe, le chauffeur est ligoté et jeté dans le ravin avant qu'ils ne s'emparent de la voiture. Les chauffeurs qui tentent de résister sont froidement assassinés. » Les réseaux de soutien au terrorisme constituent, eux aussi, cette autre catégorie des groupes criminels qui se livrent au pillage, au racket et au vol à main armée. Ces derniers sont armés et agissent sous les ordres de ce qui reste des hordes intégristes.En décembre 2005, neuf individus ont été interpellés à Oued Aïssi impliqués dans le soutien et le blanchiment de capitaux au profit des islamistes. A travers les différents villages et villes, l'opinion publique est unanime à remettre en cause l'efficacité de la lutte contre ces fléaux, menée par les services de sécurité, tous corps confondus. Une source sécuritaire de la wilaya de Tizi Ouzou a reconnu la véracité de ce constat. « Le traitement des affaires relevant du banditisme est soumis à des lenteurs énormes, que ce soit au niveau de la police ou de la justice », a avoué un agent de la police judiciaire. Déclarations minimes Un citoyen relatera le récit cauchemardesque d'un proche qui a été victime d'une agression chez lui. « Mon oncle, âgé de 70 ans, raconte-t-il, a été attaqué chez lui en pleine nuit par quatre voyous du village pour lui subtiliser une somme d'argent qu'il a retirée de la banque le jour même. Heureusement pour lui, il a été averti par son chien avant que les voleurs n'entrent dans sa chambre. Il a crié et attiré l'attention des voisins qui ont accouru et reconnu les quatre brigands qui ont pris la fuite. Mon oncle s'est présenté à la sûreté de daïra et a déposé plainte en fournissant les noms et prénoms de ses agresseurs, mais hélas l'affaire traîne depuis six mois sur les bureaux de la police sans que les accusés ne soient interpellés sous prétexte qu'il n'ont pas été retrouvés. » Des sources sécuritaires affirment que les statistiques obtenues dans la région font établir que les actes d'agression qui ne sont pas déclarées aux services de sécurité par crainte de représailles sont nombreuses. Les victimes, notamment dans les villages isolés, subissent sans dénoncer leurs agresseurs qui sont de leurs connaissances, dans la plupart des cas, car elles ne sont pas protégées. Au niveau de la justice, le calvaire des victimes innocentes n'est pas moindre. Un avocat établi à Draâ Ben Khedda tire la sonnette d'alarme quant à la recrudescence de la criminalité en Kabylie en faisant savoir que les affaires relatives au banditisme (agression, vol et trafic en tous genres) représentent 50% des dossiers traités par la justice.