Concilier le droit à l'information et le respect de la justice. En 1999, l'avocat Miloud Brahimi avait dénoncé la manière avec laquelle l'affaire Cosider-BDL avait été conduite par les tribunaux. «Tout le monde sait que ces cadres ont été victimes d'une justice instrumentalisée», devait-il déclarer à El Watan. Des déclarations que le juriste Mokhtar El Akhdhari El Sayaihi n'aime pas. Dans Al Sahafa oua Al Qadhâa (la presse et la justice), un essai publié par les éditions Houma à Alger, il revient sur la problématique du droit de l'information et de la bonne conduite de la justice. Selon lui, les deux pouvoirs cohabitent difficilement. «Cela n'est pas forcément lié aux règles judiciaires mais au fait qu'il est compliqué de dresser des limites à la liberté de la presse. La presse refuse par principe toute contrainte, puisqu'elle se comporte comme la gardienne de la démocratie», note-t-il. Selon lui, les médias s'accordent le droit de contrôler l'action des pouvoirs publics au point de remettre en cause l'indépendance de la justice perçue comme alliée de ces mêmes pouvoirs publics. «Les textes juridiques qui régissent en Algérie la relation de la presse avec la justice sont d'inspiration française. Ils sont favorables à la justice dans le sens où ils la protègent des dépassements supposés de la presse», releve-t-il citant la loi sur l'information de 1990 et le code pénal. Il a souligné que la législation algérienne consacre «le droit à l'information» à l'ensemble des citoyens et pas uniquement aux professionnels de la presse. Un droit qui s'étend à la possibilité d'exprimer librement ses opinions. Est-ce vraiment le cas dans les médias dit publics ? Mokhtar El Akhdhari El Sayaihi préfère faire l'analyse des textes juridiques et tend à montrer la manière avec la quelle la presse «viole» parfois le secret d'instruction et se permet de commenter les décisions de justice. Il publie en annexe des extraits d'articles de journaux pour étayer ce constat. Il rappelle que le code de procédure pénale consacre la confidentialité de l'investigation judiciaire pour protéger les parties en conflit et maintenir intacte la présomption d'innocence (précisée dans l'article 45 de la Constitution algérienne). Rendre publics des actes liés à l'enquête judiciaire nuit, selon lui, aux victimes, comme il porte préjudice aux présumés coupables. Il souligne que la divulgation du secret d'instruction est passible de poursuites pénales. Cela concerne autant les journalistes que ceux qui participent à l'enquête comme les greffiers, les experts, les traducteurs, les membres de la police judiciaire ou les magistrat de l'instruction ou de la chambre d'accusation eux-mêmes (pour les magistrats la procédure est plutôt disciplinaire). L'auteur ne manque pas de souligner que les procès sont publics ouverts à la couverture médiatique. «La liberté d'expression n'est pas absolue. Il est permis de la limiter lorsque cela est nécessaire pour protéger des intérêts essentiels de la société», écrit-il. Il s'est s'intéressé aux cas d'atteinte aux représentants de l'appareil judiciaire (diffamation, insulte, etc,) et à la publication d'informations pouvant influer sur «la bonne marche» de la justice ou remettre en cause la crédibilité des jugements. L'essai, qui est inspiré d'une thèse de magistère sur le droit pénal soutenu par l'auteur en 2004, est précis et bien documenté. Il permet tant aux professionnels des médias qu'aux praticiens du droit d'avoir une idée claire du rapport entre la presse et la justice. Et de comprendre que souvent les dispositions pénales actuelles tendent plus à freiner l'action journalistique qu'à la promouvoir. Inutile de souligner que certains articles, historiquement dépassés, doivent disparaître du droit algérien. Outre ses fonctions au ministère de la Justice, Mokhtar El Akhdhari El Sayaihi assure le module «La justice et les médias» à l'Ecole supérieure de magistrature.