L'émir du Koweït, cheikh Jaber Al Ahmed Al Sabah, est décédé hier, après une longue convalescence qui l'avait de fait éloigné du pouvoir suite à une hémorragie cérébrale dont il avait été victime en septembre 2001. Un deuil de 40 jours a été décrété dans l'émirat. L'ancien souverain sera inhumé aujourd'hui, en présence de nombreux souverains, chefs d'Etat et de gouvernement. L'Algérie était représentée aux funérailles par Abdelaziz Belkhadem et Bouguerra Soltani, conseillers à la présidence de la République. Agé de 79 ans, selon le communiqué officiel annonçant son décès, alors que sa biographie officielle, qui avait circulé jusqu'ici, le donnait agé de 77 ans, le défunt souverain avait régné sur le pays pendant 28 ans, soit depuis 1978. En fait, la succession à la tête de l'émirat avait déjà commencé au lendemain de la maladie de cheikh Jaber, qui l'avait contraint à de longs séjours à l'étranger, en Grande-Bretagne, pour des soins médicaux. Pour préparer sa succession dans la sérénité et la cohésion de la famille régnante, le défunt émir avait anticipé sur les événements en opérant des réformes institutionnelles dans le pays. C'est ainsi, en effet, que furent découplées, en 2003, la fonction de prince héritier et celle de Premier ministre ; les deux responsabilités étaient auparavant concentrées entre les mains du prince héritier cheikh Saâd Al Abdallah Al Salem Al Sabah, et cela depuis l'intronisation du défunt émir, cheikh Jaber. Le prince héritier, présenté comme un réformateur, s'était distingué par des décisions poli tiques courageuses dans la période d'inter-règne, où il avait eu à diriger de fait le pays après la maladie de cheikh Jaber, en octroyant notamment le droit de vote aux femmes. Le Parlement koweïtien, sans être à proprement parler un modèle de démocratie, dans la mesure où une partie seulement des députés est élue, le reste étant désigné, offre un cadre de consultation et de participation citoyenne à la vie du pays qui n'existe nulle part ailleurs dans les pays de la région. Le vent de « démocratisation » de la société a touché également la presse qui passe pour être l'une des plus libres de la région ; une liberté qu'il faudrait, bien entendu, replacer dans le contexte politique et constitutionnel propre au système en place. Les jalons de la succession avaient été ainsi posés pour apaiser les tensions qui commençaient à sourdre au sein de la famille régnante, particulièrement dans l'entourage de l'ancien ministre des Affaires étrangères, cheikh Sabah Al Ahmad Al Sabah, demi-frère de cheikh Jaber, où l'on mettait en avant la jeunesse de ce diplomate chevronné par rapport au handicap lié à l'âge avancé doublé d'une maladie de son demi-frère qui accède ainsi au trône à l'âge de la retraite, à 76 ans. Il avait caressé l'espoir d'une réforme constitutionnelle qui lui permettrait de se poser comme l'alternative dans la lutte feutrée pour la succession. En vain. Après la brouille avec l'Algérie, retour à la confiance L'ancien émir a préféré la stabilité et la continuité du système en maintenant en l'état l'ordre successoral en place, mais tout en offrant des gages d'ouverture pour les clans de la famille régnante qui se sentaient quelque peu marginalisés du pouvoir et qui réclament une plus grande implication dans les cercles de décision. L'heure de cheikh Sabah Al Ahmad Al Sabah, qui a passé une grande partie de sa carrière politique à la tête de la diplomatie de l'émirat, n'a pas encore sonné, même si on le présente comme le protégé et l'une des valeurs sûres des Américains qui misent beaucoup sur lui pour diriger le pays dans les tout prochaines années. Au regard de l'âge avancé et de la maladie du nouvel émir du Koweït, qui accueillait hier dans un fauteuil roulant les invités de l'émirat venus assister aux funérailles de cheikh Jaber, les observateurs ne s'empêchaient pas d'anticiper sur l'avenir et de parler d'ores et déjà de succession à la succession de cheikh Saâd. Pays prospère, disposant de 10% des réserves mondiales de pétrole, cette petite monarchie du Golfe, qui compte à peine 2,5 millions d'habitants dont moins de un million d'autochtones - le reste étant composé d'immigrants, du proche-Orient, du Maghreb, des pays asiatiques -, avait payé un lourd tribut à la première guerre du Golfe, en août 1990, suite à l'invasion du pays par les forces irakiennes. L'effort de guerre avait engendré un surendettement de l'émirat, estimé alors à 120 milliards de dollars US, aggravé par la destruction massive de ses installations pétrolières par l'armée irakienne qui avait dans sa stratégie de la terre brûlée mis le feu aux puits de pétrole. L'Arabie Saoudite avait offert son territoire pour organiser la reconquête du Koweït par les forces coalisées à partir du poste avancé du Nord, Dahrah, ville frontalière avec l'Irak où étaient stationnées les forces coalisées, et ouvert ses bras pour accueillir la famille régnante et le gouvernement koweïtien qui ont établi leur quartier général à Taef, à l'hôtel Sheraton. C'est dans cet hôtel transformé en palais royal en exil que nous avions rencontré alors l'actuel Premier ministre, cheikh Sabah Al Ahmad Al Sabah, qui occupait, à l'époque, le poste de ministre des Affaires étrangères, ainsi que le ministre de la Défense. Très affecté par les événements qui ont endeuillé le Koweït, cheikh Al Sabah nous avait paru très confiant quant au rétablissement du Koweït dans ses droits légitimes et sa souveraineté nationale. La position de l'Algérie, qui était opposée à la guerre contre l'Irak, s'en tenant à une solution politique négociée du conflit, avait profondément irrité les autorités koweïtiennes et cheikh Al Sabah n'avait pas laissé passer l'occasion de la présence d'un journaliste algérien pour rappeler le soutien accordé par le Koweït à la Révolution algérienne. Alors que nous lui faisions remarquer que l'Algérie faisait son apprentissage de la démocratie et qu'il y avait au sein de l'opinion algérienne des voix qui soutiennent l'Irak et d'autres le Koweït, cheikh Al Sabah a eu cette boutade : « La démocratie dans votre pays ne pouvait-elle donc pas attendre ? », nous-a-t-il lancé sans rire. Après la brouille qui avait duré plusieurs années, les relations économiques et politiques entre les deux pays sont aujourd'hui assainies, les investissements koweïtiens en Algérie sont de retour et la confiance rétablie.