A la tête de l'Union nationale des agences de tourisme alernatif (Unata), Mohamed Rouani gère aussi sa propre agence touristique, parmi les plus anciennes de Tamanrasset. Initiateur de la méharée que nous avons vécue avec lui et ses amis, il nous livre dans cet entretien qu'il nous a accordé lors d'une de nos haltes dans l'oued Tineftaouine, le sens de la vie dans le désert, ses apports, ses enseignements et tout simplement l'amour entre les hommes : une doctrine qui se perd, mais qu'enseigne Mohamed Rouani même à ses touristes, voyageurs d'un temps dans le désert... Que représente pour vous la méharée que nous venons d'accomplir ? Cette méharée que nous venons de faire concerne Tazrouk, après la mort de Moulay Abdallah, un saint homme que j'ai eu l'honneur de connaître de son vivant. Cela fait 23 ans que nous la faisons tous les ans. Elle nous permet, en particulier, de replonger dans notre passé et de nous ressourcer : ce que nous ne pouvons pas faire tout au long de l'année. Personnellement, cela me permet d'avoir autour de moi la plupart de mes amis qui travaillent avec mon agence touristique. Nous évoquons alors un certain nombre de choses. On peut parler entre hommes à tête reposée et tout le long de ce parcours, nous retrouvons donc les endroits de notre enfance et de notre jeunesse, des souvenirs, des lieux de champ de bataille. Nous avons avec nous des vieux, Aflane et Moussa, qui nous parlent de choses auxquelles nous n'avons pas assisté et que leurs aînés leur ont aussi racontées... C'est la quatrième année que je suis initiée avec vous à cette méharée où l'on apprend d'innombrables choses... Tout à fait ! Même avec vous, nous ne prenons pas de gants. On considère que vous êtes un membre parmi nous. Vous n'êtes pas du tout étrangère à notre société. D'habitude, avec mes clients dans mon métier de tourisme, nous avons d'autres méthodes : des points précis, des horaires précis, tandis que là, nous vivons réellement comme nous avons toujours vécu en tant que nomades. Vous avez d'ailleurs vu que du point de vue cuisine, nous mangeons comme les gens du pays. S'il y a un message essentiel que peut transmettre une caravane de chameaux, quel sera-t-il ? L'amour entre les hommes. Le respect de soi et de la nature. Il serait très très dangereux pour nous les hommes que nous ne puissions plus survivre dans notre environnement. A cause de nos déchets dont la terre est submergée, nous ne pourrons plus respirer et vivre dans notre environnement. La nature est là, elle nous enrichit de ses bienfaits et nous devons la respecter. Et aussi le respect entre les hommes : vous avez vu vous-mêmes nous rencontrons des campements, nous rencontrons des gens, nous passons un moment à nous saluer, à nous dire plein de choses, des nouvelles... Ce matin, au campement que nous avons rencontré, vous avez vu que ses habitants voulaient nous garder pour manger avec eux. On ne voulait pas les déranger, puisque nous sommes nombreux, mais ils étaient presque vexés que nous n'ayons pas accepté, voyez-vous ! Et ils n'ont pas grand-chose ! Et ça, c'est quelque chose d'extraordinaire quand on pense à la vie citadine, dans les grandes métropoles surtout, où l'individualisme est devenu « in », et où paraît-il l'on peut même tuer pour des choses qui ne sont pas si nécessaires que ça ! (rires d'étonnement ndlr). Ici les hommes autour de vous ne pensent pas à tuer pour des objets à acquérir ou pour leur honneur ! Parmi les compagnons de méharée, vous vous êtes occupé de deux de vos amis que vous formiez pour mieux travailler dans votre agence touristique... J'en profite cette année pour former deux guides accompagnateurs parmi nos guides chameliers qui, eux, connaissent le terrain et l'approche du tourisme qu'ils ont exercé depuis plusieurs années. Ils ont appris à manier correctement, au moins, une langue, le français, et là j'espère les mettre cette saison comme guides accompagnateurs, pour réduire petit à petit l'accompagnement étranger. Jusqu'à présent, l'accompagnement vient essentiellement de l'étranger, et ce sont des garçons et des filles formés dans des écoles de tourisme. Petit à petit, nous essayons de les remplacer par l'accompagnement local. Vous vous débrouillez seul pour former vos guides, mais vous déplorez l'absence d'écoles de tourisme dans le Sud... Nous avons l'impression que le tourisme n'est pas une préoccupation pour l'instant, sur le plan politique en tout cas. L'Etat ne fait pas grand-chose dans ce domaine. Dans le nord du pays, il y a des écoles, mais elles forment quelques hôteliers. Dans le domaine du professionnalisme touristique, il y a très peu de choses en Algérie. On se compare souvent à nos voisins mais, excusez-moi, au Maroc, il y a une véritable école encadrée par des professionnels du tourisme étrangers qui forment exactement des garçons comme ceux que vous voyez avec nous dans la méharée, qui sont « du cru », qui sont des nomades ou des villageois et qui ont appris le métier sur le tas. Ensuite, ils ont une formation poussée sur le plan touristique : l'approche touristique, les langues, la géographie, l'histoire et que sais-je encore ! Malheureusement, en Algérie, nous n'avons rien d'équivalent. Il y a quelques années, nous avons proposé au ministère de la Formation professionnelle et à sa direction, ici à Tamanrasset, un projet que l'on a appelé « Iminir », c'est à dire « le guide », pour la formation de guides touristiques parmi les jeunes professionnels que nous avons et qui ont du métier, qui connaissent parfaitement le terrain, puisqu'ils sont nés dedans, qui connaissent le touriste, mais auxquels il manque la théorie : les langues, une formation visuelle pour eux dont la plupart savent à peine lire et écrire. Une formation visuelle en histoire, en géographie, en géologie, pour qu'ils puissent parler aux touristes de leur environnement, de l'histoire de leur pays, de la géologie des régions qu'ils traversent, etc. Le dossier que nous avions alors soumis aux services de la formation professionnelle est tombé à l'eau. Il n'y a pas de volonté, alors que c'est tout à fait réalisable ! Lors de nos haltes en méharée, nous ne quittions jamais les lieux sans avoir brûlé nos ordures et rapporté avec nous celles qui ne peuvent être consumées. Cela est-il lié à votre noble idée et opération « Désert propre » ? « Désert propre » est une idée de l'Unata, l'Union nationale des agences de tourisme alternatif, que je préside. Deux fois par an, nous nettoyons les sites qui sont beaucoup fréquentés par les touristes. Nous le faisons à la fin de la saison touristique et au début de la suivante. C'est une opération où malheureusement nous ne sommes pas aidés par l'administration, car il faut savoir que nous n'avons pas beaucoup de moyens humains et matériels pour la mener. Et souvent, ce ne sont pas toutes les agences qui acceptent de faire cette opération : c'est toujours le même noyau d'agences qui l'accomplit. Nous cotisons et nous essayons de regrouper les véhicules et les personnes pour nettoyer. Cela revient toujours à dire que le tourisme n'est pas vraiment une préoccupation importante en Algérie. A l'Unata, nous avons préconisé depuis très longtemps un tourisme en Algérie sur trois paliers : le balnéaire, un tourisme haut de gamme et d'aventure au nord du Sahara (les régions oasiennes) et, enfin, laisser l'extrême Sud dont le milieu est si fragile à un tourisme carrément élitiste et qui lui sert en fait de phare d'appel pour le tourisme en Algérie. A mon avis, cette idée de l'Unata pour une politique touristique en Algérie est viable pour le pays. Les voyages thématiques sont toujours organisés par votre agence, comme par le passé. Sur quoi portent-ils ? Nous sommes à l'origine des voyages thématiques en milieu désertique. En particulier, un des voyages très intéressants que nous avons organisé avec des étrangers et qui s'intitulait « Le désert et les étoiles ». C'était donc le rapport avec l'étendue du désert et le soir avec un astronome professionnel et de grosses lunettes où les touristes pouvaient observer les étoiles et les constellations. Nous avons également organisé des voyages sur des thèmes de botanique, de dessin et de gouache et là pour cette saison touristique qui ouvre en octobre, nous sommes sollicités pour un voyage très particulier de sept semaines : ce sont donc des toxicomanes qui viendront dans le désert pour se désintoxiquer et qui seront encadrés par des professionnels. C'est un voyage qui se déroulera à pied, à chameau et en 4x4 et qui partira d'une frontière à l'autre, d'In Guezam à la frontière algéro-nigérienne à Djanet à la frontière algéro-libyenne.