On l'oublie souvent, l'hymne national, Qassaman, est un poème. Son auteur, Moufdi Zakaria, est décédé en exil. L'Emir Abdelkader et Abdelhamid Ben Badis étaient des poètes. La poésie a accompagné l'histoire de l'Algérie depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, écrire un poème et le publier devient presque suspect, anormal. Certains comparent cet acte culturel à un gribouillage d'adolescents, d'autres à des signes de folie. Pourtant dans ce monde urbanisé, numérisé, normalisé, dépolitisé et javellisé, des artistes, le coeur pur et le regard certain, avancent sur les sentiers de la lumière. Ils croient à la magie de la poésie. Le discours de la volaille, qui fait parfois l'opinion, comme disait le chanteur, ne les intéresse pas... «L'important n'est pas d'être poète, mais de pouvoir dire des choses», nous confie Djamel Saâdaoui, un jeune poète qui puise ses mots frais dans l'océan de la langue arabe. «Il y a toujours une place pour la poésie qui exprime les souffrances des gens et qui met à nu ce qui tourmente leurs profondeurs», appuie-t-il. Il défend l'idée d'une poésie qui porte «l'intérêt commun», «le bien public», les préoccupations de la société. «Le public rejette la poésie individualiste. Beaucoup de poètes tombent dans le piège de l'égoïsme», dit-t-il. Hadhi thaourati (c'est ma révolution) est le titre très actuel du premier recueil de poèmes de Djamel Saâdaoui, paru dernièrement aux éditions Hibr, à Alger. Un recueil de poésie romantique aux couleurs politiques, parfois contestataires. «J'évoque l'Algérie de l'après-indépendance, de tout ce que ce pays a vécu comme situations diverses. J'essaie de détecter les obstacles qui empêchent l'Algérie d'avancer et de réaliser l'Etat de droit. J'ai tenté de répercuter les interrogations que se posent tous les Algériens», explique-t-il. Djamel Saâdaoui, qui évite soigneusement de tomber dans la facilité du «patriotisme lyrique», tente d'aller jusqu'au bout pour savoir comment les choses doivent évoluer. Le premier des vingt poèmes du recueil est titré Kiffah (lutte) et le dernier Houria (liberté). «Le train doit reprendre son chemin» «Chaque peuple a besoin de lutter et a besoin de liberté aussi. Et pour passer de la lutte à la liberté, il faut dire la vérité, consolider la justice… La société algérienne est toujours incapable de réaliser le rêve des martyrs. Malheureusement, l'Etat a été confisqué après l'indépendance par une élite militaire. Aussi le pays n'a-t-il pas eu un véritable Etat avec d'authentiques institutions. Aujourd'hui, il est temps de se poser ce genre de question et de dénoncer cette situation», confie Djamel Sâadaoui. Il regrette le silence des autres générations sur ce «détournement» du rêve de liberté. Il est important, à ses yeux, de chercher les solutions pour sortir le pays de l'impasse. Al Quittar ladhi ehtaraq (le train qui a brûlé) est un poème expressif de tout cela. «C'est tout le parcours national qui devait être lancé en 1962. Le train a été déraillé. Ils ont voulu nous convaincre que l'Algérie ne pouvait se développer que sous le parti unique. C'est faux. L'Algérie doit être un pays pluraliste, un pays de dialogue, bâti sur l'intelligence et les compétences. Le train doit reprendre son chemin. Pour cela, les hommes qu'il faut doivent retrouver leur place», plaide-t-il. Lissoun fi biladi (un voleur dans mon pays) est le titre d'un poème qui n'a pas besoin d'être expliqué. Djamel Sâadaoui mène la bataille, à sa manière, à ceux qui ont «kidnappé» l'Algérie. Il rejoint ainsi l'avis des anciens opposants, ceux qui, depuis «le renversement» brutal de Benyoucef Benkheda, président du Gouvernement provisoire algérien (GPRA), ne cessent de dire que l'Etat algérien a été «détourné» par une élite sans légitimité, sans base sociale, sans perspectives, sans idées de progrès. «C'est la plus grande opération de brigandage de l'histoire du pays. Il y a aussi les voleurs de tous les jours, ceux qui subtilisent les droits du peuple. On doit mettre fin à cela et aller vers le changement», insiste Djamel Sâadaoui, le ton presque rebelle. «Le cœur et l'espérance» «Tes yeux sont pleins de passion, et ton âme souffre de l'éloignement / ton cœur brûle de tendresse, tes paupières se ferment à forcer de veiller / mon cœur est excité par l'espérance, il a tendu ses mains… mais s'est arrêté / il a questionné les nuits à ton sujet, il a enflammé ses peines et il en a été brûlé.» Azzeddine Mihoubi ne quitte pas les rivages fleuris de la poésie. Malgré ses occupations à la Bibliothèque nationale, l'ex-secrétaire d'Etat à la communication, le romancier et le journaliste ne cesse de ciseler les vers, les mots et les strophes. Il vient de publier aux éditions Hibr Quatrains. Un recueil traduit de l'arabe par Djillali Attatfa, enseignant à l'Ecole supérieure des enseignants de Bouzaréah, à Alger. Azzeddine Mihoubi parle de quatrains spirituels à tendance soufie. «Les quatrains sont une forme poétique que nous devons sauvegarder. Chacun peut citer Omar Al Khayyam et ses Robaiyat. Ces poèmes ont été publiés en 1997. Des amis m'ont demandé de les traduire de l'arabe au français», explique-t-il. La poésie a-t-elle toujours sa place dans la société du numérique ? «Le roman est la forme littéraire dominante actuellement. En Algérie, beaucoup de poètes se sont mis à l'écriture romanesque. J'en fais partie. A travers le roman, on peut s'engager sur plusieurs voies et atteindre des dimensions variées. On peut respirer comme on veut. La poésie possède ses instruments et ses règles. La poésie ne disparaît jamais tant qu'il y a un sentiment à exprimer chez l'être humain», assure-t-il. Il rappelle qu'à l'apparition du cinéma, certains avaient prédit la fin du théâtre, à la venue de la télévision la mort du cinéma, la fin de la télévision avec l'émergence de la vidéo et la disparition de tous les supports avec Internet. «La poésie ne mourra jamais ! Même le roman porte aujourd'hui dans ses entrailles l'esprit poétique. La poésie est présente partout dans la littérature», tranche-t-il. Retour de la poésie politique Azzeddine Mihoubi prévoit un retour en force de la poésie politique avec les révoltes arabes. Une poésie porteuse d'idées et d'opinions liées à l'accélération des événements. «Je peux même parler de la poésie SMS, celle qu'on échange rapidement. Des formes poétiques de ce genre apparaissent déjà dans les forums et les sites web qui suivent les changements dans les pays arabes. Cela existe également sur facebook», observe-t-il. Azzeddine Mihoubi a publié, aux éditions du quotidien Ech-Chourouk, Malam yaichhou Sindbad (ce que Sindbad n'a pas vécu). «Dans ce livre, qui peut être classé dans les récits de voyages, je suis revenu sur mes déplacements culturels, politiques et touristiques à l'étranger. J'ai évoqué des aspects qui peuvent intéresser les lecteurs», souligne-t-il. Il conseille les hommes des arts et des lettres de revenir par l'écriture sur leurs voyages. Poète, dramaturge et directeur des éditions Vescera, Toufik Ouamane prendra bientôt l'avion pour participer à des rencontres littéraires au Maroc, au Canada, en Irak et au Liban. Il prendra part notamment au festival sur le zadjel arabe à Baghdad, un important rendez-vous des poètes arabes. Il publiera dans les prochains mois un recueil de textes sur la poésie populaire. «Je vais éditer aussi une épopée poétique sur un amour oudrite (platonique) entre deux tribus, Zouina et El Maâloul. On m'a dit que cette épopée sera adaptée sous forme de scénario remanié au grand écran. Le film sera le troisième du genre en Algérie après Hizia et Zeina», souligne-t-il. Toufik Ouamane envisage de publier aussi Al Bouhali ou Al Bazouka, un texte dramaturgique qui sera bientôt mis en scène par le Théâtre national algérien (TNA). Le texte revient sur les révoltes arabes d'une manière satirique. Après trois recueils de poésie, écrits en arabe depuis 1997, Rabah Dharif, journaliste à Radio M'sila, est passé au roman. «Certains ont dit que j'ai senti que la poésie était morte. Pour moi, ce nouveau roman est une manière de faire parvenir la poésie au lecteur d'une autre manière. Il n'y a donc pas que la narration. La narration romanesque et la poésie se complètent. J'en suis convaincu», explique-t-il. Gedisha, le nouveau roman de Rabah Dharif paru aux éditions Vescera, est en fait une prolongation d'un texte publié dans le recueil Dhakiratou al jamr (la mémoire de braises), paru en 2002. «J'ai décidé de continuer l'histoire de Gedisha, du nom de ma région natale du Hodna. J'évoque le changement des paysages et des hommes, même si l'endroit a toujours gardé ses caractéristiques. On doit toujours revenir à notre identité, c'est la seule constante parmi des éléments variables. Je tente de revenir à la tradition de la zerda que nous avons perdue aujourd'hui. L'homme moderne ne doit pas tuer son passé. La valeur humaine, contrairement aux aspects matériels, ne disparaît jamais», dit-il avec passion.