Les Irakiens croisent les doigts et prient que leur pays fasse l'économie d'une fronde que pourrait susciter l'annonce hier des résultats des élections législatives du 15 décembre 2005. Tout compte fait, il n'y a pas eu de surprise, et il ne pouvait en vérité y en avoir puisque comme cela se produit depuis les premières opérations électorales en juin 2004, le réflexe communautaire a parfaitement fonctionné, et avec lui la loi du nombre, et non pas celle des programmes. En fin de parcours, avons-nous appris hier, la commission électorale n'a fait que confirmer ce qui se dit depuis la tenue de ces élections. En effet, la liste chiite conservatrice a remporté ces élections sans toutefois obtenir la majorité absolue. Cette liste, l'Alliance irakienne unifiée, a remporté 128 sièges au Parlement qui en compte 275, a indiqué un membre de cette commission, Abdel Hussein Al Hindaoui, peu avant l'annonce officielle des résultats des législatives du 15 décembre. Elle est suivie par la coalition kurde qui obtient 53 sièges et la liste sunnite du front irakien de la Concorde, avec 44 sièges. La liste de l'ancien Premier ministre Iyad Allaoui, chiite laïc, obtient 25 sièges et celle du sunnite Salah Al Motlak 11 sièges. Comme pour le gouvernement sortant, les chiites devront constituer un gouvernement de coalition pour pouvoir gouverner. Les premières estimations publiées en décembre avaient provoqué les protestations de plusieurs partis, en particulier des sunnites, qui, bien que minoritaires, ont gouverné le pays pendant toute la période du régime de Saddam Hussein. Des partis sunnites, dont la communauté s'est rendue en masse aux urnes alors qu'elle avait boycotté le scrutin de janvier 2005, et la liste de Iyad Allaoui, se sont ainsi réunis au sein d'un groupe appelé Maram (initiales arabes pour le Congrès du refus d'élections falsifiées), menaçant de boycotter le nouveau Parlement si une enquête internationale n'était pas menée sur les fraudes supposées. Iyad Allaoui avait aussi dénoncé les violences préélectorales. Il a lui-même été agressé pendant la campagne lors d'une visite à la ville sainte chiite de Najaf (centre). Une permanence de son parti, le Mouvement de l'Entente nationale et de son allié, le Parti communiste, ont été incendiés à Nassiriyah (sud). La Mission internationale pour les élections irakiennes (MIEI), qui avait jugé le 16 décembre que le scrutin s'était déroulé « en général, selon les normes internationales », a ainsi envoyé une délégation d'experts chargés de vérifier le processus post-électoral. Le 19 janvier, elle a indiqué dans son rapport final ne pas être en mesure de préciser l'étendue exacte des fraudes, mais n'a pas remis en cause le résultat et a rendu hommage aux efforts de la commission électorale irakienne pour avoir réussi à organiser un scrutin. De son côté, la Commission électorale indépendante irakienne a annoncé le 16 janvier que les bulletins de 227 urnes, sur 31 500 au total dans tout le pays, soit moins de 1%, avaient été annulés à cause d'irrégularités. Selon la Commission électorale, 307 « entités politiques » et 19 coalitions représentant 7655 candidats étaient en lice le 15 décembre. Sur les 275 sièges du Parlement, 230 sont distribués aux 18 provinces et 45, appelés « sièges nationaux », seront alloués aux partis qui n'obtiendront pas de siège au niveau provincial, mais dont le score national sera assez élevé. Craignant des violences lors de l'annonce des résultats, les autorités ont renforcé les mesures de sécurité, fermant pour 48 heures les frontières des provinces à forte population sunnite de Diyala (nord-est de Baghdad), de Salaheddine (nord de la capitale) et d'Al Anbar (ouest de l'Irak). Cette mesure est destinée à « empêcher des opérations terroristes lors de l'annonce des résultats des élections », avait alors indiqué la télévision publique Iraqia, en citant le ministère de l'Intérieur. Les accès de Falloujah, ville sunnite et ancien bastion rebelle à 50 km à l'ouest de Baghdad, ont été aussi fermés pour trois jours, à partir de jeudi. Le renforcement du dispositif de sécurité dans la capitale a été décidé à l'approche de l'annonce des résultats des élections comme l'avait annoncé lundi dernier le général Abdel Aziz Mohammed, du ministère de la Défense. Mission accomplie pour cette commission et même pour la mission étrangère sourde à toutes les contestations, mais qu'en sera-t-il pour les nouveaux élus ? Un pari bien difficile, surtout que le chef suprême de la communauté chiite, Abdelaziz Hakim, s'est ouvertement prononcé contre tout consensus, et pour une stricte application des règles démocratiques, l'un et les autres, étant incompatibles. Y aura-t-il un cabinet qui ne comptera en son sein que des chiites ? Dans ce cas-là, quelle place occuperont les Kurdes qui remettent en cause le côté strictement honorifique de la présidence de l'Etat ? Et des Sunnites qui n'ont participé à ces élections qu'en échange d'une promesse de révision de la Constitution ?