Porté sur des questions sensibles de la société française, il tourne un film sur l'ancien leader du MRAP. - Votre premier documentaire sur les mosquées de Paris vous a tout de suite distingué dans le monde de l'audiovisuel... Ce film, qui a été soutenu par la Ville de Paris, met en lumière des aspects originaux. J'en suis le réalisateur ainsi que le coauteur avec Franck Hirsch et Pierre Guenoun. C'est un documentaire qui existe en deux versions (1h05 et 52 mn). Il s'agissait d'avoir un regard juste et bienveillant sur ces lieux de culte. Notre approche nous a permis d'instaurer une relation de confiance avec les représentants de ces mosquées qui entretenaient des relations détestables avec les médias. Nous sommes les premiers à avoir filmé ces lieux de culte sans nous cacher et sans voler les images de la prière dans les rues. - Pourquoi avoir choisi Mouloud Aounit comme sujet de votre second documentaire ? Il représente une époque, une culture et un savoir-faire. Il est le produit de l'immigration algérienne en France qui date des années 1950. Son parcours retrace l'histoire de cette immigration, de son intégration dans le pays d'accueil et de son imprégnation de la culture populaire ouvrière de la banlieue rouge. C'est aussi une illustration du succès et du déclin de cette culture ouvrière. Car, alors que nous assistons à sa mise à l'écart par la direction du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), nous constatons que la culture qui l'a façonné est en déclin. Aounit a fait sa carrière au sein du MRAP, l'un des principaux mouvements antiracistes français. Et en retraçant son histoire, nous avons pris conscience qu'il fallait élargir le cadre de notre intervention et évoquer l'historique du paysage antiraciste français depuis son origine. Nous avons consacré une partie à l'histoire de cette organisation fondée durant la Résistance par des individus qui ont vécu dans les camps d'Auschwitz. Nous avons interviewé Charles Palant, l'une des figures emblématiques de ce mouvement, qui a connu Aounit lorsqu'il était enfant. A cette époque, les enfants comme Aounit étaient appelés «fils de bougnoules», comme le souligne le chercheur Vincent Geisser… Aounit est arrivé en France à l'âge de trois ans. Comme toutes les personnes de sa génération, il était constamment renvoyé à ses origines alors qu'il considère la France comme sa terre natale. «Fils de bougnoules» renvoie au combat en faveur de la reconnaissance du pays d'accueil et à la lutte menée par ces enfants d'immigrés dans leurs familles, alors que les parents vivaient dans le mythe du retour. Il nous a semblé important de mettre en lumière cet aspect qui relève de la sphère du privé. Ces enfants avaient manifesté une forte volonté de s'intégrer dans la société française. Mais lorsqu'ils rentraient chez eux, le père ne leur parlait pas car ils avaient obtenu la nationalité française. Ils se retrouvaient dans une position très ambivalente, ils devaient constamment se justifier chez eux et à l'extérieur. Cette mémoire personnelle et intime est partagée par beaucoup d'enfants d'immigrés. Elle fait partie de la mémoire collective. - Aounit est le premier à avoir utilisé le terme «islamophobie». Quel a été son rôle dans la lutte contre ce qu'il a défini comme une nouvelle forme de racisme ? Il est très attentif au racisme, aux discriminations et à leurs formes émergentes. L'islamophobie est l'un des racismes qui a été le plus contesté. Pour ceux qui réfutent l'existence de ce phénomène, l'islamophobie est une construction des islamistes pour légitimer leurs revendications. Caroline Fourest est l'une des principales tenantes de cette thèse. - Quelle est la démarche du film ? Le film documentaire est un média qui oblige à la concision. J'ai utilisé à peine 10% des témoignages recueillis. Le reste de la matière sera exploité par Geisser pour son livre. Les thématiques ont été définies en lien avec le parcours personnel et militant de Mouloud Aounit. Le film met en scène la grande et la petite histoires. Puis, nous avons défini des axes spécifiques : le racisme anti-maghrébin, courant dans les années 1970 ; les marches des Beurs pour l'égalité des droits ; l'évolution des mouvements antiracistes... L'idée consiste à voir comment les grands appareils ont été «ringardisés» dans leur façon de faire par d'autres mouvements tels que SOS racisme qui a inventé le testing et introduit des méthodes de marketing et de communication pour promouvoir leur organisation. Nous voulions mettre l'accent sur l'évolution des mouvements antiracistes au plan de la forme, car nous nous sommes rendu compte que les gros appareils de masse, créés après-guerre et qui avaient des attitudes réactives, ont été écartés du jeu par des mouvements proactifs qui utilisent les moyens de communication de leur époque : Internet, concerts, nouvelles technologies… Nous voulions mettre en lumière les nouveaux modes de lutte et montrer comment des militants comme Aounit en tant que produits d'une époque ont été débordés et dépassés. L'autre thématique du film concerne les combats-clés menés par Mouloud Aounit au sein de son organisation, comme la question des sans-papiers et un certain nombre de causes internationales. Je pense particulièrement à son engagement pour l'abolition de l'apartheid en Afrique du Sud et pour la défense de la cause palestinienne. - A quel stade est parvenue la réalisation du film ? Pour l'instant, nous terminons les entretiens. Nous avons rencontré plusieurs personnes qui ont accepté de témoigner, dont le criminologue Xavier Raufer qui avait été assigné par le MRAP pour propos racistes dans l'émission «C dans l'air». Notre démarche repose essentiellement sur une approche critique à l'égard des idées d'Aounit et de sa trajectoire militante. C'est pour cela que nous tenons à intégrer dans le film des témoignages contradictoires. Caroline Fourest et Eric Zemmour n'ont pas encore donné suite à notre demande. Il reste quelques entretiens à réaliser avec notamment George Pau-Langevin, avocate députée et ancienne présidente du MRAP et Houria Bouteldja, porte-parole du parti Les Indigènes de la République. L'intervention de cette dernière s'inscrit dans le cadre du thème relatif à l'évolution du mouvement antiraciste et son fractionnement en niches. Car, nous assistons de plus en plus, ces dernières années, à l'émergence de mouvements communautaires. - De quel ordre sont les difficultés rencontrées sur le terrain ? La réalisation du film se passe plutôt dans de bonnes conditions. Les difficultés que nous rencontrons concernent la difficulté de faire participer au film des personnages tels que Caroline Fourest, qui est la mieux placée pour expliquer pourquoi l'islamophobie n'est pas un racisme, et Eric Zemmour, dont le discours se situe à l'opposé de celui d'Aounit. Nous avons également été éconduits par des personnes du Conseil régional d'Ile-de-France et je pense particulièrement à Julien Dray. Ces témoignages sont importants car ils sont censés étayer la partie qui met l'accent sur Aounit en tant qu'élu de ce Conseil régional. Le second problème important est lié à la maladie de M. Aounit. De ce fait, notre organisation reste tributaire de son état de santé. - Vous avez lancé une campagne de soutien pour ce film documentaire. Quel est l'intérêt de cette démarche ? Cette campagne de soutien a pour objectif d'obtenir des fonds privés, mais elle ne fonctionne pas pour l'instant. Bien que nous bénéficiions de fonds publics, nous avons besoin d'équilibrer les comptes. Les fonds privés émanent de nos diffuseurs et de la maison de production mais cela ne suffit pas. C'est pourquoi nous avons fait appel aux bonnes volontés et au public naturel de ce film afin de boucler notre budget.