En allant � la rencontre de Yamina Benguigui, nous projetions de l�interroger essentiellement sur ses nouvelles fonctions �d�adjointe au maire de Paris, en charge des droits de l�homme et de la lutte contre les discriminations� et accessoirement sur son action cin�matographique. Peine perdue ! Chez Yamina Benguigui son nouveau r�le politique dans la capitale fran�aise n�est que le prolongement de son action dans le cin�ma qui continue � �tre sa raison d��tre. Ses nombreuses �uvres documentaires ou de fiction portent le m�me combat que celui qu�elle va poursuivre dans ses nouveaux habits d��lue locale. Et l�Alg�rie ? C�est cette Alg�rie qui lui a fait aimer le cin�ma, nous dit-elle : ce sont des films comme Chronique des ann�es de braise de Lakhdar Hamina ou Omar Gatlatou de Allouache qui l�ont amen�e au 7e art et ce sont les ambiances comme celle de la Cin�math�que avec Boudj (Boudjema� Kar�che) qui la rendent toujours nostalgique d�une ville-Alger-vibrait de toute son intelligence et de tout son g�nie. De notre bureau de Paris Khadidja Baba-Ahmed Le Soir d�Alg�rie : On vous conna�t, ici et ailleurs, notamment en Alg�rie, par vos films. On vous retrouve � la mairie de Paris, en tant qu�adjointe de Bertrand Delano�, charg�e des droits de l�homme et de la lutte contre les discriminations. Beau parcours, mais en m�me temps l�on se demande toujours pourquoi les personnes d�origine immigr�e, lorsqu�elles parviennent � des postes politiques, sont toujours confin�es aux probl�mes de l�immigration, des discriminations. Pourquoi cette ghetto�sation ? Yamina Benguigui : Je crois que je suis l�une des rares r�alisatrices fran�aises, issue de l�immigration alg�rienne, � avoir fait sans rel�che depuis 17 ans en France un cin�ma engag� sur des questions relatives � l�immigration et au devoir de m�moire. Il m�est arriv� d�avoir quelquefois des propositions de films ou d�animation d��missions sur d�autres sujets, mais j�ai toujours privil�gi� la m�me th�matique, celle de l�enracinement des populations issues de l�immigration. Lorsqu�on m�a propos� de nouvelles fonctions en tant qu�adjointe au maire de Paris, en charge des questions des droits de l�homme et de lutte contre les discriminations, c�est tout naturellement que j�ai accept�, parce que je n�avais pas la sensation d��tre novice sur ces sujets soci�taux, j�avais 17 ans de r�flexion et d�exp�rience. D�s le d�but de ma carri�re, et apr�s la sortie en salle et la diffusion � la t�l�vision de mes films, j�ai re�u des centaines d�appels et de demandes comme : �Je suis � l�h�pital et je n�arrive pas � r�gler le dossier de ma m�re� ou encore �j�ai envoy� des centaines de C-V pour un stage et aucune r�ponse ne m�a �t� faite� ou encore l�appel de certaines familles qui, se trouvant tout d�un coup devant un parent d�c�d�, ne savaient o� l�enterrer, eu �gard au manque de carr�s musulmans� Face � ces demandes, j�ai engag� deux personnes � plein-temps pour trouver des solutions, et je suis devenue, malgr� moi, une sorte de porte-parole, une m�diatrice de confiance. Je dois reconna�tre que beaucoup de soci�t�s et de maires ont �t� r�ceptifs � mes demandes, de m�me que des institutions comme l�ambassade d�Alg�rie, et je voudrais rendre hommage � l��coute, au travail formidable et au concours pr�cieux de la secr�taire de l�ambassadeur. Je me souviens qu�en 2001, Bertrand Delano� que j�accompagnais dans sa campagne pour les municipales, a �t� d�embl�e sensibilis� � toutes ces questions complexes d�enracinement, qui touchent � la dignit� et � l�int�grit� de membres d�une communaut� ab�m�e par le travail qui a v�cu dans l�antichambre de la France et qui n�ose pas parler. Bertrand Delano� est vraiment � l��coute, attentif � la mutation de cette population qui avait fait le r�ve de repartir et qui reste l�, fig�e par le vent froid de la retraite. Je lui en suis �ternellement reconnaissante. Car ce sont des questions qui sont au c�ur de mon engagement de cin�aste et de mon action sur le terrain, car j�utilise mes films pour organiser des d�bats, lib�rer la parole, et interpeller les pouvoirs publics, les maires, les institutions, pour trouver des solutions � toutes ces questions d�enracinement. La lutte contre les discriminations, la diversit�, ne deviennent- elles pas des notions un peu trop galvaud�es ici en France, sans d�ailleurs qu�il y ait des avanc�es notables sur ce plan-l�. Un nombre incalculable d�associations est sur ce cr�neau ; elles ont quasiment toutes le m�me discours �il faut que, il n�y a qu����. Comment faire l��conomie de ces discours et aller vers l�essentiel des d�cisions pratiques, autrement dit, comment envisagez-vous, � votre niveau, votre action contre les discriminations ? Ma d�l�gation �Lutte contre les discriminations� comprend toutes les discriminations qui touchent les minorit�s, les femmes, les handicap�s, les homosexuels� Les discriminations sont l�gion, � tous les niveaux de la vie sociale. Mais il y a surtout ce qui ne se voit pas, ce qui est insidieux, pernicieux, la �discrimination raciale�, li�e aux pr�jug�s h�rit�s du colonialisme. C�est elle qui gangr�ne notre soci�t� : dans les entreprises, elle s�est install�e de fa�on insidieuse, en amont de l�embauche. Les dipl�m�s bac+5 qui ont un nom � consonance arabe ou africaine, ou qui viennent d�un territoire stigmatis� n�ont pas acc�s aux entretiens. N�ayant donc aucune chance d�avoir acc�s � la rencontre avec le DRH ou le recruteur, ils ne pourront jamais avoir de recours. C��tait l�objet de mon dernier documentaire Le plafond de verre. A cette occasion, j�ai rencontr� des dizaines de jeunes, qui apr�s avoir envoy� plus de 1 200 candidatures pour obtenir un stage n�avaient jamais eu le moindre entretien. Il est �vident que ce n�est pas le dipl�me qui est mis en cause, mais bien la �consonance � de leur nom. Ce qu�il y a de terrible, pour tous ces jeunes, c�est de se sentir exclus, rejet�s d�une comp�tition � laquelle l��cole de la R�publique les avait pr�par�s, tout autant que leurs copains de promo, Marion ou Nicolas. Ils arrivent, f�tent leur dipl�me de fin d��tudes et l�, pour eux, tout s�arr�te. Les portes des entreprises leur restent ferm�es. Alors que ces jeunes constituaient un �mod�le� pour leur fratrie, ils deviennent brusquement un contre-mod�le pour les plus jeunes. Une autre probl�matique discriminatoire qui me tient � c�ur concerne l�enterrement des populations issues de l�immigration. La soci�t� fran�aise n�avait pas pr�vu que les immigr�s musulmans allaient s�arrimer sur la terre d�accueil, au point de pouvoir y �tre enterr�s � et il n�y a que 80 carr�s pour une population de musulmans �valu�e en France � 6 millions�, de m�me qu�elle n�avait pas pr�vu l��mergence d�une classe moyenne de jeunes dipl�m�s fran�ais qui postuleraient directement � des fonctions de cadres dans les entreprises fran�aises et dans les institutions. Nous sommes bien dans un faisceau informel de discriminations raciales rampantes. C�est pour cela qu�il faudra avoir une r�flexion sur la question. Faut-il l�gif�rer ?� Je ne crois qu�au pouvoir de la loi. Ayons l�humilit� de regarder ce qui s�est pass� dans des dizaines de pays, comme le Canada, les Etats-Unis, la Su�de, qui ont su l�gif�rer pour r�gler leurs probl�mes de discriminations. Paris peut devenir pr�curseur et une capitale-symbole des droits de l�homme pour l�Europe, face � des pays comme l�Espagne, l�Italie et l�Allemagne, qui sont confront�s � ces probl�mes latents. Encore des lois ? Ne croyez-vous pas qu�il y en a suffisamment mais que le probl�me est leur absence d�application ? Les textes de loi qui existent aujourd�hui ne concernent que les discriminations � caract�re frontal, flagrantes. Si quelqu�un dit � une personne �vous �tes un sale Noir�, la personne a les moyens de r�agir, de porter plainte aupr�s de la Halde, mais lorsqu�il s�agit d�une discrimination insidieuse, non dite, mais exprim�e dans les faits, par un rejet � l�emploi ou au logement, il n�y a pas de preuve, donc aucun moyen d�action. Il me semble qu�il faudrait d�autant plus l�gif�rer que la situation internationale de ces derni�res ann�es a eu des r�percussions en France, a renforc� les pr�jug�s concernant l�Arabe, le musulman, et ont engendr� des r�actions de m�fiance et de peur. Il faut redonner du droit � cette population et surtout de la dignit�. Les droits de l�homme constituent un autre volet de votre activit�. Ce concept est pour le moins, aujourd�hui, un fourretout : on y met tout et n�importe quoi, des causes justes et d�autres aux vis�es douteuses. Et vous, quelle est votre conception des droits de l�homme, dans quelle direction allez-vous travailler ? Par-del� le symbole et les comm�morations, pour moi les droits de l�homme, c�est essentiellement d�fendre une personne ou un groupe de personnes, abstraction faite des fronti�res et des conditions sociales. J�organiserai mon action en faveur de tous ceux qui s��l�vent et disent �nous ne voulons pas rester dans une situation dans laquelle nos droits fondamentaux ne sont pas reconnus�. Venant de l�univers du documentaire et du terrain, j�ai eu � trouver des solutions hors des sentiers battus, j�utiliserai mon exp�rience� Les sujets ne manquent pas : populations incarc�r�es en prison, en centres de r�tention, formation des jeunes au civisme, aux droits de l�homme� Je dois faire honneur � Paris, sur toutes ces questions. Pour moi, Paris m�rite son appellation de capitale des droits de l�homme. Toutes les personnes, souvent inconnues, victimes, bafou�es, doivent savoir que cette d�l�gation aux droits de l�homme � la mairie de Paris existe et qu�il existe aussi plus globalement des textes qui leur donnent la possibilit� de faire reconna�tre leurs droits. En fait, les luttes contre les discriminations et les atteintes aux droits de l�homme sont intimement li�es ; cela proc�de du m�me combat pour d�fendre ces valeurs. Et si on �voquait votre rapport au pays d�origine, � l�Alg�rie. Vous y allez souvent ? Je m�y suis rendue r�cemment lors du voyage officiel pr�sidentiel. Justement, beaucoup n�ont pas compris que vous accompagniez Sarkozy � ce voyage. J�ai accompagn� le pr�sident de la R�publique fran�aise qui m�avait invit�e au titre de r�alisatrice fran�aise d�origine alg�rienne, et je pense aussi pour ce que j�incarne comme symbole de r�unification entre les deux pays. J�ai fait ce voyage en compagnie de Costa Gavras. C�est toujours un plaisir d��changer avec le pr�sident de la R�publique alg�rienne, de m�me qu�avec la ministre de la Culture et sa directrice de cabinet, des femmes �nergiques, battantes, p�tillantes, qui sont des amies de toujours. Mais � titre priv�, vous retournez au pays ? Je suis intimement li�e naturellement � ce pays, parce que c�est mon pays d�origine. J�y vais souvent, mais lorsque je m�y rends, je descends � l�h�tel, parce que depuis la mort de ma grand-m�re maternelle et de mes deux oncles, la �maison familiale� s�est referm�e. C�est une histoire tr�s douloureuse� Mais mon amour pour cette terre est toujours aussi vivace. Apr�s la diffusion de M�moires d�immigr�s, en Alg�rie, beaucoup d�Alg�riens continuent � m�exprimer leur amour et me remercient de tout mon travail sur la m�moire et la dignit� de leurs �fr�res�, partis un jour de l�autre c�t�. Alg�rie, cin�ma, immigration, tout semble faire une m�me chose chez vous� Lorsque j��tais adolescente, des films alg�riens comme Chroniques des ann�es de braise, de Lakhdar Hamina, ou Omar Gatlatou, mon film culte, de Merzak Allouache, images d�un cin�ma fort, engag�, d�un pays vivant, d�une prise de parole, m�ont donn� envie de faire du cin�ma. On ne pouvait pas classer le cin�ma alg�rien dans le cin�ma des pays �mergents, car il �tait d�une qualit� et d�un niveau international et il pouvait donner des le�ons. Je suis rest�e marqu�e par la Cin�math�que alg�rienne. Je faisais souvent le voyage � Alger, pour retrouver cette ambiance, pour retrouver Boudj, son directeur, Yazid Khodja. Je les trouvais d�une modernit� incroyable, d�une connaissance sans faille, et quels personnages ! Lorsqu�un cin�aste fran�ais �tait invit� par la Cin�math�que d�Alger, il pouvait se targuer d��tre un �grand� du cin�ma. La Cin�math�que a �t� ma deuxi�me famille. Lorsque Boudj m�appelait par exemple pour me dire, apr�s une interview, �tu as �t� bien l�-dessus !� pour moi, c��tait la meilleure des cons�crations� Et depuis ? Depuis, mes relations avec eux sont rest�es les m�mes. Mais en ce qui concerne le cin�ma alg�rien, les choses semblent �tre plus difficiles. Il aurait fallu donner � toutes ces comp�tences, � tous ces talents, les moyens de cr�er chez les jeunes le go�t pour le cin�ma. Mais rien n�est perdu. Il y a encore des ma�tres en Alg�rie, il y a le savoir-faire de ses techniciens, toute l��cole de Chouikh et beaucoup d�autres. Mon id�e est que les jeunes Fran�ais d�origine alg�rienne qui ont envie de faire du cin�ma soient mis en relation avec les professionnels alg�riens pour qu�ils leur l�guent leur savoir. Il peut y avoir un partenariat avec le CNC fran�ais pour faire des coproductions et faire en sorte que les techniciens alg�riens qui �rouillent�, faute de projets, reprennent leur m�tier. La France l�a fait avec des �quipes belges, pourquoi ne pas le faire avec l�Alg�rie ? Car, dans le cin�ma, si on n�exerce pas, on meurt. En dehors de vos projets ici, en avez-vous avec l�Alg�rie ? Mon r�ve est de faire une s�rie comique qui concernerait les petites grands-m�res alg�riennes qui font en permanence l�aller retour France-Alg�rie, lib�r�es du poids des tabous, des fronti�res et de leurs familles ! Mon r�ve, c�est aussi � et je le dis souvent � Rachid Bouchareb � de faire que l�Alg�rie soutienne un peu nos productions. J�ai re�u beaucoup de reconnaissance, de d�corations et de prix en France et � l��tranger, mais je me dis que nous serions vraiment sensibles � de simples mots d�encouragement venant de l�Etat alg�rien ou de la t�l�vision et du cin�ma alg�riens. Je reconnais que notre ambassadeur d�Alg�rie est tr�s ouvert sur les questions de culture� Mais nous aurions besoin de passer � la vitesse sup�rieure, comme le fait l��nergique ambassadeur marocain avec ses artistes. En tant que producteurs et r�alisateurs, ce serait dommage de nous amputer de notre nation d�origine pour internationaliser notre propos. Nous avons beaucoup d�frich�, beaucoup sem�, le moment est venu de r�colter, car nous savons que l�image et la culture sont et resteront des outils incontournables pour faire avancer le monde. K. B.-A.
Yamina Benguigui en quelques mots N�e en avril 1957 � Lille. Si elle n�est encart�e dans aucun parti politique, elle s�est pr�sent�e n�anmoins comme apparent�e PS aux derni�res municipales. Parall�lement � ses nouvelles fonctions � la mairie de Paris, elle travaille, avec Rachid Arab, Herv� Bourges et d�autres, � une �tude pilot�e par le CSA (Conseil sup�rieur de l�audiovisuel) et consacr�e � la repr�sentation de la diversit� dans l�audiovisuel. Membre du HCI, productrice de la premi�re soci�t� de production pluriethnique Elemiah avec Marc Ladret de Lacharri�re. Elle a r�alis�, entre autres, de nombreux documentaires ou films longs-m�trages enti�rement consacr�s � la m�moire, � l�immigration, au combat contre le pr�jug� racial, pour l��galit� homme-femme, les �uvres ci-apr�s : Femmes d�islam documentaire en trois volets pour France 2. 1993 ; M�moires d�immigr�s, l�H�ritage maghr�bin en 1998 : 7 d�Or du meilleur documentaire et Golden Gate au San Francisco International Film Festival ; Inch�Allah dimancheen 2001 : Prix de la critique au festival du film de Toronto et grand prix au 1er festival international de Marrakech ; Le Plafond de verre/les d�fricheurs en 2005 : Prix du meilleur documentaire � Montr�al. Laur�at d�or du meilleur documentaire, prix du S�nat France, Troph�e Africagora. Elle re�oit � Florence le prix de la Paix, pour l�ensemble de son �uvre. Elle tourne actuellement un film sur le 93 La Seine-Saint-Denis pour sortir des id�es pr�con�ues sur la banlieue, A�cha fiction pour France 2.