La lente et silencieuse agonie de la subéraie qui s'étend sur toute la bande nord-est et nord-ouest de la wilaya de Mila aurait fait, sans l'ombre d'un seul petit doute, un spectacle dantesque sous d'autres cieux comme elle aurait, certainement, révolutionné le microcosme des associations de protection et de sauvegarde de l'environnement. Chez nous, paradoxalement, les autorités en charge de ce patrimoine forestier inestimable se confinent dans un mutisme lourd de conséquences. La subéraie dans la wilaya de Mila est hélas vraiment en danger, voire menacée d'extinction totale. Quoiqu'on veuille se voiler la face, les raisons de sa disparition sont à présent connues de tous tant les coupes en blanc étoc, les défrichements, le pacage intensif, l'absence de la régénération naturelle, les incendies, les exploitations abusives et sauvages, mais aussi et surtout les constructions illicites en plein cœur des forêts de chêne-liège se pratiquaient, il y a de cela quelque temps, dans l'impunité et l'indifférence des responsables concernés. Il ne s'agit pas ici de discréditer, encore moins préjuger de la pertinence des actions des services agricoles et de l'administration forestière tenus, en tout état de cause, par l'obligation de mise en œuvre des différents programmes nationaux de développement agricole ( PPDR, PNDA et aides à l'habitat rural, entre autres), mais de tirer la sonnette d'alarme sur les risques d'extinction définitive du chêne-liège de forêts des Zouagha (au nord de la wilaya), Mouia (région est frontalière avec la wilaya de Skikda) et Tamentout, limitrophe de la wilaya de Sétif au nord-ouest. Un riche patrimoine en déperdition Dans les massifs montagneux de la wilaya de Mila, les forêts de chêne- liège se situent essentiellement dans la chaîne montagneuse des Zouagha sur une superficie de 3 449 ha auxquels il faut ajouter la forêt domaniale de Mouia d'une superficie de 738 ha, soit une couverture régionale appréciable de 4 187 ha dont plus de un tiers peuplé de chêne zeen (source économie forestière). Ces arbres somptueux sont constitués d'une futaie de chêne-liège de 160 sujets à l'hectare en moyenne, mais en état de détérioration continue au niveau de la forêt des Zouagha, en raison du pacage intensif et permanent. L'espèce dominante dans les maquis de Ouled Askeur (wilaya de Jijel) est par ailleurs le chêne afarès. En dépit de son inestimable valeur marchande et sa très bonne qualité, l'espèce du chêne zeen avec 40% de la superficie totale, donc 1674 ha environ, n'a pas bénéficié d'une politique de protection devant permettre sa régénération, sans parler des coupes et des mutilations. Ces forêts, véritable don du ciel, ont perdu à présent leur aspect physiologique et leur cortège floristique. La bêtise et l'insouciance humaines en sont responsables. L'homme qui est souvent derrière le déséquilibre écologique de l'ensemble de la biocénose, est devenu « l'ennemi le plus redoutable de la nature avant la chèvre ». Protection et sensibilisation La longévité du chêne-liège est de 150 ans en moyenne, allant souvent jusqu'à 200 ans. C'est surtout dans les régions de Grande Kabylie et le littoral de l'Est algérien qu'on trouve les plus beaux peuplements de chêne- liège de toute l'Afrique du Nord. Il y a trois décennies, l'Algérie occupait la 3e position parmi les huit pays producteurs de chêne-liège groupés dans la région méditerranéenne occidentale : Portugal, Espagne, Algérie, France, Italie, Grèce, Tunisie et Maroc. La plantation fruitière à l'intérieur des forêts de chêne-liège cédées aux riverains soit par concession ou par contrat de location (amodiation), contribue également au déboisement et à la dénudation du sol forestier. Il est dommage que la politique nationale en matière de sylviculture tend à réduire la subériculture à un rôle commercial que cultural. La durée de vie d'un arbre fruitier (7 à 8 ans au mieux) n'égalera jamais la viabilité spatiale et temporelle d'un chêne-liège. La vision agroforestière actuelle consistant à privilégier le développement rural à travers la distribution de projets de proximité : dindonneaux, poules pondeuses, élevage ovin et bovin, apiculture et arboriculture, aux dépens de la préservation du patrimoine forestier, ne facilite pas la mission première de l'administration des forêts de veille et de protection de la subériculture. De l'autre côté de la Méditerranée, la France a accordé une importance particulière à la sibériculture par la création d'une structure spécialisée dans la recherche et le développement de la subéraie française dénommée « Institut méditerranéen du liège ».Une association à caractère scientifique agissant dans le domaine subéricole et dont les études ont prouvé les excellentes retombées écologiques quant à la préservation de l'écosystème par cette espèce d'arbre symbole de la Méditerranée. Face au délitement progressif de la subéraie algérienne, les pouvoirs publics gagneraient plus à engager des réflexions approfondies et à mettre en œuvre des textes législatifs adéquats afin d'aboutir à une économie forestière réelle et durable.