Le leader du parti tunisien Ennahda est en visite depuis hier à Alger. Il devrait être reçu demain par le chef de l'Etat. Fort de sa victoire aux élections du 23 octobre dernier, le chef du parti islamiste tunisien Ennahda, Rached Ghannouchi, est en passe de devenir un acteur incontournable au Maghreb. En visite en Algérie depuis hier, suite à une invitation de la présidence de la République, le nouvel homme fort de Tunisie aura droit à tous les honneurs. Au menu, un programme chargé. Selon nos sources, un dîner avec le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, devait avoir lieu hier soir, avant d'entamer toute une série de rencontres avec de hauts représentants de l'Etat. Aujourd'hui, en effet, le leader islamiste tunisien sera reçu par les présidents des deux Chambres du Parlement, tandis que demain, le chef de l'Etat devrait le recevoir en audience officielle au siège de la présidence. Mais d'autres rencontres sont également prévues avec les partis de l'Alliance présidentielle. Ainsi, même si la visite ne porte aucun sceau officiel – on parle d'une visité d'amitié – il n'en demeure pas moins qu'au vu de la qualité de ses interlocuteurs, cette virée prend forcément une allure officielle. A son arrivée à Alger, M. Ghannouchi a, selon l'APS, précisé qu'il était venu «pour des concertations dans l'intérêt de nos deux pays et de la région», soulignant que sa visite «intervient dans un contexte marqué par des changements très importants en Tunisie». «Nous sommes honorés de faire cette visite au moment où nous nous apprêtons à consacrer l'une des victoires de la révolution du 14 janvier 2011 qui consiste en la tenue de la première session de l'Assemblée constituante», a-t-il déclaré. Jusqu'à présent pourtant, rien n'a filtré sur le contenu de ce déplacement qui, le moins qu'on puisse dire, intervient à la veille de l'installation d'un nouveau pouvoir en Tunisie à l'issue des résultats du scrutin d'octobre. Mais au-delà des traditionnels pourparlers qui concernent les deux parties, le nouveau paysage politique, chez nos voisins de l'est, est-il susceptible d'être un élément structurant des relations bilatérales ? Mais pas seulement, loin s'en faut. Car l'heure, aujourd'hui, est à une espèce de «mise à niveau» des règles politiques favorisant l'ouverture tous azimuts. Alger pourrait-il alors envisager de régler son horloge politique sur la Tunisie ? Le nouveau modèle tunisien est-il en passe d'inspirer le pouvoir d'Alger – lui qui tergiverse et se faufile entre les différents «portraits» de réformes politiques à engager ? Autant de questions qui restent donc entièrement posées. Côté Tunisie, Ghannouchi avait, lui, en tout cas affirmé, dans un entretien à El Watan à la veille de l'élection de l'Assemblée constituante, qu'il envisageait «des relations stratégiques avec l'Algérie en vue d'établir des accords de haut niveau à l'effet de faire du Maghreb arabe un seul pays». L'homme plaçait déjà ses perspectives politiques au-delà des frontières tunisiennes… Seul couac : la question du Sahara occidental. Ghannouchi ne cache pas son opposition à l'émergence d'un nouvel Etat dans la région. Lors de sa visite au Maroc, en juillet dernier, il avait déclaré qu'«il n'était plus temps aujourd'hui de créer de nouveaux Etats et que l'heure était plutôt à la construction du Maghreb». Pragmatique, Ghannouchi sait pertinemment, en plus, qu'après l'euphorie révolutionnaire, la Tunisie sera confrontée à d'autres défis d'ordres économique et social. L'Algérie, avec sa manne financière, lui serait d'une aide considérable. Elle a déjà mis la main à la poche en accordant une aide de 100 millions d'euros au gouvernement provisoire de Béji Gaid Essebsi. Le leader d'Ennahda, qui n'entend pas jouer un rôle direct dans la nouvelle Tunisie en refusant de briguer un quelconque mandat, ne cache pas, par contre, ses intentions de peser de tout son poids pour «amadouer» les courants islamistes dans le Maghreb. Ghannouchi, qui occupe le poste de vice-président de la Ligue mondiale des ulémas musulmans, dont l'influence sur les partis islamistes au Maghreb comme au Machrek est considérable, pourrait bien être «un bon conseiller» pour certains régimes en crise en mal de renouveau. Y aurait-il une expertise tunisienne que pourrait prêcher le cheikh Ghannouchi ? Wait and see.