La presse nationale a rapporté dernièrement des informations relatives à un haut responsable du secteur de l'énergie et des mines qui affirmait à l'agence Reuters, sous couvert de l'anonymat, que l'Algérie s'apprêtait à apporter des modifications fiscales à son cadre juridique et contractuel d'exploration production. Selon cette source, le régime de partage de production devrait être assoupli, et la fameuse taxe sur le superprofit pourrait être carrément abrogée. Le motif étant le désintérêt des compagnies pétrolières et le manque flagrant d'une bousculade, réalité confirmée par deux appels d'offres lancés par l'agence algérienne Alnaft pour un total d'une vingtaine de blocs à explorer dans le domaine minier. Si on se réfère aux chiffres donnés par le ministère de l'Energie et des Mines, dans le bilan édition 2010, ce domaine s'étendrait sur près de 1536 442 km2 dont 774 688 seulement sont occupés. 25% du domaine total est en prospection, 23 en recherche et 3 en exploitation. 761 km2 restent vierges. La performance d'exploration s'écarte de quelques dizaines de points par rapport à ce qui se pratique dans le monde. 13 puits forés aux 10 000 km2 contre une moyenne mondiale de 105 pour une même superficie. Il est clair que les responsables d'Alnaft n'ont pas raté l'occasion à travers cet état de fait pour expliquer le marasme de l'activité en amont par l'attente de ces nouvelles dispositions. Il faut souligner que ces analyses ont entretenu sciemment ou inconsciemment une légère confusion sur la question du régime juridique des activités de recherche et d'exploitation. En effet, la loi sur les hydrocarbures de 2005 et son ordonnance modificatrice abrogent toutes les dispositions, notamment la loi 86-14 du 19 août 1986 instaurant le partage de production. Par contre, l'ordonnance n° 06-10 du 29 juillet 2006, dans son article 02, confirme la concession mais modifie légèrement le terme concessionnaire en désignant Sonatrach SPA, et c'est là où commence cette ambiguïté. Actuellement, dans le monde, il n'existe pas de régime de concession hybride spécifique à chaque pays. Le contour typique général est bien défini. L'Etat octroie au titulaire un titre minier exclusif d'exploration. En cas de découverte commerciale, il obtient un ou des titres exclusifs de développement et d'exploitation. Le titulaire de la concession est propriétaire de la totalité des hydrocarbures produits à la tête des puits. Il est aussi propriétaire des installations de production jusqu'à l'expiration de ses droits miniers. A l'expiration de la concession, les installations fixes reviennent à l'Etat sans indemnité pour le titulaire. Il est possible pour l'Etat de participer dans le cadre d'un accord d'association sans aucune contrainte de l'une ou l'autre des parties. En contrepartie, le concessionnaire finance entièrement à sa charge toute la phase d'exploration en plus d'une partie des investissements de développement dans le cas où cet accord d'association se concrétise. Il paye, durant ces opérations, un bonus, une redevance superficiaire, une redevance de production en nature ou en espèce, un impôt sur le bénéfice et d'autres taxes supplémentaires spécifiques à chacun des pays où ce régime est pratiqué. Il reste bien entendu que l'Etat dispose d'un droit de regard sur le profil de production et parfois même la commercialisation de la production. Donc assimiler l'obligation du contractant de prendre Sonatrach SPA comme associé avec un minimum de 51% à un retour vers le partage de production, dont nous verrons le principe plus loin, peut constituer une déviation du régime, voire même commettre une confusion contractuelle. Tout porte à croire que le président Bouteflika, en signant l'ordonnance en 2006, a voulu ménager son ministre et en même temps stopper la grogne autour de la privatisation de Sonatrach. C'est la raison pour laquelle on peut aisément constater, à la lecture de cette ordonnance, l'empreinte de Chakib Khelil et celle de Louisa Hanoune. En effet, l'article 2, non amandé de la loi 05-07 du 28 avril 2005, précise «le principe de mobilité et d'adaptation qui caractérise l'action de l'Etat, et dès lors, à restituer à ce dernier celle de ses prérogatives autrefois exercées par Sonatrach SPA». C'est ce même principe qui a constitué l'ossature de l'exposé des motifs de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines. Il reste incontestablement contradictoire avec les dispositions contenues dans l'article 32 de l'ordonnance n°06-10 du 29 juillet 2006 qui restitue à Sonatrach le droit exclusif d'agir pour le compte de l'Etat dans sa participation avec le concessionnaire devenu maintenant contractant. Cela ressemble à un partage de production mais ce n'en est pas un. Ce rafistolage dans une loi cadre a quelque peu brouillé la vision stratégique de l'Algérie en matière de politique pétrolière. Il a peut-être fait douter les entreprises internationales, pourquoi ? Parmi les fondamentaux de l'industrie pétrolière et gazière, il y a l'importance des capitaux et le risque de les investir. Le risque géologique étant favorable à l'Algérie et les entreprises pétrolières notamment françaises et, partant américaines, connaissent bien, même mieux que les Algériens, le terrain. Cela explique le taux appréciable de réussite en exploration, environ 2,5/5 contre un ratio moyen mondial de 1/5. Par contre, ces compagnies sont à cheval sur le risque «pays», lié aux relations internationales, souveraineté, stabilité politique et surtout fiscale. Il est clair que l'article 101 bis, inséré au sein de la loi n°05-07 du 28 avril 2005, instaurant une taxe non déductible sur les profits exceptionnels, n'a pas été du goût des associés mais n'explique qu'en partie leur boycott actuel de l'application des nouvelles dispositions. Il va de la crédibilité de l'Algérie d'assurer une cohérence de ces textes pour la clarté qui instaure une relation de confiance avec ses partenaires. Ils peuvent avoir un choix et dans des conditions meilleures. C'est certainement ce déficit de cohérence qui a été à l'origine de la défection de nombreux investisseurs pour au moins deux raisons : 1- Où trouver cet «agneau» d'investisseur qui viendrait en Algérie risquer ses capitaux, et quand il découvre du pétrole et valide commercialement sa découverte, céderait la majeur partie de sa concession à Sonatrach SPA aux conditions validées par une agence de l'Etat Alnaft (article 48 de l'ordonnance 06-10 du 29 juillet 2006). Même si ces conditions sont fixées d'avance, elles restent étrangères à la pratique mondiale en la matière ; 2- au début de l'application de ces nouvelles dispositions, un appel d'offres, dit de manifestation d'intérêt, a été lancé pour apprécier, selon les propres termes de son initiateur, la capacité des futurs partenaires de transférer de la technologie. Lorsqu'on sait qu'à la moindre ouverture, les cadres de Sonatrach passent de l'autre côté de la barrière pour rejoindre les compagnies étrangères, on peut se demander qui capitalise, qui consolide et qui fertilise le savoir transféré. De nombreux partenaires dans ces conditions n'arrivent pas à circonscrire avec précision la forme de ce transfert. Ensuite, les instruments de formation et de recherche, qui auraient pu assurer cette tâche, ont été soit marginalisés comme le Centre de recherche et de développement de Sonatrach (CRD) ou carrément privatisés comme l'Institut algérien du pétrole (IAP), pionnier dans la formation et la recherche dans la chaîne pétrolière et gazière. Les experts, qui sont intervenus pour dénoncer la loi sur les hydrocarbures au moment même où son initiateur était sur place, avaient recommandé son retrait pur et simple, pourquoi ? Parce que le régime de partage de production est de plus en plus pratiqué en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique et il a donné ses fruits pour peu qu'on l'améliore. En Algérie, il a été à l'origine depuis 1986 de plus de 80 découvertes sur un total de 220, les 140 restent l'œuvre de Sonatrach seule. Cette dernière vient justement de faire en octobre dernier une importante découverte d'un gisement de gaz condensat près de Béchar. Comment peut-on améliorer un accord de partage de production ? Tout simplement en agissant sur ces inconvénients et en exploitant au mieux ces avantages : • Dans le régime de partage de production, une fois la découverte commerciale validée et le gisement développé, le contractant a le droit de se faire rembourser des coûts pétroliers qu'il a engagés en disposant d'une fraction de la production dite «cost oil». Le partage ne peut se faire que lorsque le contractant récupère cette partie de fonds avancée. L'expérience a montré que souvent ces coûts récupérés avant le partage fond l'objet d'un gonflement au détriment des intérêts de l'Etat ou de celui qui agit pour son compte eu égard au manque d'expertise des pays hôtes pour évaluer avec précision les travaux ou le matériel utilisé. A ce niveau, de nombreux pays ont procédé à la confection de bulletin reproduisant les cours du servicing et du matériel pétrolier. Aujourd'hui, avec les nouvelles technologies de l'information, cette opération devient facilement réalisable. • Au cours du développement du gisement, le contractant a toujours tendance à produire vite pour récupérer ses investissements, auquel cas le gisement pourrait être détérioré ou carrément affaissé. Aujourd'hui, le contrat de partage de production amélioré prévoit des clauses qui obligent le contractant à présenter son profil de production du gisement et le soumettre au contrôle de l'Etat. Une taxe dite de «decommissionnig» ou de réhabilitation pourrait être introduite dans ce contrat. Le constat aujourd'hui est encore une perte de 7 ans à ajouter au retard à rattraper dans un débat stérile. Pour changer, il faut une audace managériale. Le nouveau responsable du secteur est un technocrate, intègre commis de l'Etat et politiquement incolore. Selon toute vraisemblance, sa démarche est basée sur un principe de prudence pour éviter de remuer une plaie non encore cicatrisée. S'il le fait, il risque d'offusquer le président de la République qui assume pleinement les erreurs d'appréciation de son ancien ministre. Cette susceptibilité risque de durer jusqu'à la fin du mandat présidentiel. Il se trouve que l'ère Chakib n'a pas fini de livrer tous ses secrets. L'arnaque récente de l'entreprise Enor et les malversations dénoncées par le syndicat dans les mines de Tirek et Amasmassa sont édifiantes. Malheureusement, il n'est pas le seul mais de nombreux responsables de Sonatrach et du secteur de l'énergie qui lui ont obéit aveuglement, applaudissent aujourd'hui leur échec. Le nouveau ministre peut-il leur faire confiance, et en même temps, peut-il applaudir avec une seule main. Maintenant quand même le secteur de l'énergie débute sa redynamisation en 2012, il faudra attendre au moins 2018 pour espérer de nouvelles découvertes. Certains diront tant mieux que le pétrole reste dans le sous-sol pour les générations futures au lieu de le reconvertir en dollars affaiblis par la crise d'endettement américaine, d'autres regretteront que les ressources fossiles algériennes ne soient pas valorisées. Pendant que chacun médite de son côté, notre sort économique reste suspendu à la variation de la croissance mondiale avec toute la peur au ventre qui en découle.