Livre (kitab). Indéfini. On peut mettre tout ce qu'on veut. Mais comment lire «un» livre sans rêver ? Mardi soir, sur la scène du Palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger, la Troupe marocaine des arts dramatiques a tenté de trouver au moins un début d'explication à ce dilemme. Le spectacle, présenté à la faveur du troisième Festival international de danse contemporaine d'Alger, a fait appel à toutes les formes d'expression. On y retrouve les mouvements du théâtre, les techniques de cinéma, la pantomime… La danse contemporaine n'a jamais été une science exacte. «Chaque personne porte un livre dans sa mémoire», nous a dit, quelque peu philosophe, Abdelkebir El Bahdja, directeur de la troupe. Dans «Kitab», les expressions corporelles ont remplacé les mots. Cela rappelle presque l'école allemande de la danse théâtre. Pas besoin d'une courbe ou d'algorithme pour comprendre que l'histoire raconte le désarroi d'une personne perdue entre amour et mort. Le poète n'avait-il pas dit «aimer à perdre la raison» ou l'autre qui proclamait que «l'amour peut mener à la mort» ! ? La fille aimante veut se sacrifier, ne connaît presque rien de sa vie, un vieil homme, visage caché par la «gelmouna» de sa djelaba, lui détaille son vécu lu dans un livre. La scène ressemble à une cour d'un maître qui a ses vigiles. En face, la fille amoureuse entourée de filles, heureuses et tristes à la fois. La touche classique est présente à travers la ballerine «blanche» qui ressemble à une conscience tourmentée, ou peut être éveillée. La danse est orientale, maghrébine, occidentale… «Nous nous adressons à l'homme, à l'univers. Le rêve existait. Il a été assassiné par un tueur forcé de le faire. L'assassinat est symbolique. Nous ne voulons pas encourager ce tueur malgré lui à mettre fin à sa vie», a relevé Abdelkebir El Bahdja. L'ordre et ses abus, le combat pour la délivrance et la liberté, la résistance à l'oppresseur, l'hypocrisie…tant d'idées exprimées par une danse riche à plusieurs niveaux. Les danseurs sont parfois masqués. «Dans ce spectacle, la liberté a plusieurs sens. Parfois, on se cache derrière un masque pour parler à l'autre. On aime la nature, mais dans la nature, il y a aussi des obstacles», a relevé le chorégraphe. Le vol du phénix a été un prétexte à la troupe syrienne Ugarit dance band pour revenir, avec une forme poétique et romantique, sur les tourments actuels du monde arabe. Avec une danse aérienne, qui va chercher parfois sur les terres des anciens temps, l'histoire du monde, qui serait né dans le Cham, est restituée par six tableaux, comme les six jours de la création divine de la Terre et des vivants. Tantôt en tenue noire, presque neutres, tantôt en tenue d'Aladin ou de princesse, les danseurs et danseuses ont exécuté des mouvements qui relèvent aussi du théâtre danse moderne. La trame est plus légère et moins contemporaine que celle de la danse marocaine, mais l'intensité est là, accentuée par des musiques rebondissantes et évolutives. Le souci du show est présent chez le chorégraphe Okba Ouakil avec un clin d'œil à la situation actuelle du monde arabe. «Le phénix est l'oiseau de la paix et de l'amour. A chacun de ses vols, un événement a lieu et change le cours de l'Histoire. Il a volé une première fois lors de la naissance de l'homme. Il est apparu une seconde fois avec l'arrivée des Phéniciens et leur grande civilisation en Méditerranée. C'est pour nous un message de paix, à tous les pays arabes», a expliqué Okba Ouakil. Il se dit confiant sur l'avenir de la Syrie, où une forte contestation s'exprime contre le régime de Bachar Al Assad depuis des mois. Créée en 2000, la troupe Ugarit dance bande, qui faisait dans la danse floklorique syrienne et libanaise, a été reprise par Okba Ouakil.