De 2000 à 2014 l'Algérie aura consenti des dépenses supplémentaires pour relancer son économie d'environ 500 milliards de dollars. Cette somme colossale était destinée à faire d'une pierre deux coups : créer de l'emploi et résorber le chômage d'une manière permanente et doter l'Algérie d'infrastructures modernes pour rattraper son retard dans ce domaine. Ceci représente au minimum une dépense annuelle de plus de 30% de la production globale du pays. Par rapport à la taille de notre économie, nous avons une des relances les plus coûteuses au monde. On avait plusieurs choix à faire. Le premier est de se poser la question suivante : «Qu'est-ce qui est prioritaire ?» Par exemple, pourquoi a-t-on choisi de mettre à niveau nos infrastructures au lieu de nos ressources humaines ? Choisir d'avoir des équipements modernes au lieu de cerveaux plus ingénieux est un choix de politique économique de premier ordre. Comment la décision a-t-elle été prise ? Le fait que 40% des équipements à construire sont des institutions de formation n'invalide pas l'analyse. On confond qualité et quantité, hard et soft et finalement matière grise et béton. Nous parlons d'amélioration qualitative des ressources humaines à tous les niveaux pour bâtir une Algérie moderne. Ceci illustre fort bien la problématique des dépenses publiques. L'économie est la science des choix rationnels : comment utiliser des ressources rares pour satisfaire des besoins illimités. A chaque fois que nous avons des ressources à dépenser, nous avons plusieurs alternatives d'utilisation possibles. Une dépense d'un milliard de dinars peut servir à construire un pont ou 300 logements ou un petit barrage ou une école de 30 classes ou 300 PME/PMI qui n'emploieraient dans quelques années que 1000 personnes, ou enfin jumeler une université algérienne avec une institution étrangère performante pour moderniser les programmes et mettre à niveau nos enseignants et nos chercheurs. C'est à cause de cette complexité que l'économie a produit les méthodes d'analyse des coûts-bénéfices. Etablir des Lignes directrices des dépenses publiques La crise mondiale et la récession qui s'en est suivie ont obligé les USA, l'Europe, la Chine et le Japon, à partir de 2008, à consentir plus de dépenses publiques. Le G8 et le G20 avaient exhorté ses membres à assainir les banques et à dépenser plus pour tirer l'économie mondiale hors de la récession. Les pays membres avaient mandaté des groupes d'experts pour identifier les activités prioritaires à financer. Beaucoup de pays avaient décidé de booster la consommation interne. Mais la majorité avait affecté le gros des dépenses à la recherche et développement, la modernisation des systèmes de formation, les nouvelles technologies. Les ressources ont été canalisées pour assurer la compétitivité de demain. Ce n'est qu'en finançant ces facteurs- clés de succès qu'ils escomptent booster les moteurs de la croissance, disposer de plus de taxes pour créer plus d'infrastructures. Par ailleurs, après les choix réalisés, plusieurs campagnes d'explication eurent lieu pour exposer le projet et les choix. En amont, d'intenses concertations eurent lieu. Les pays les plus modernes ont même procédé à des simulations économétriques, même si la décision politique transcende souvent les conclusions techniques. Des alternatives et des analyses de coûts-bénéfices furent entreprises. Certes, on peut parfois les orienter suite à des directives politiques, mais au moins, il y a eu les investigations nécessaires en amont et des éclaircissements, des explications en aval. Lorsque nous évoquons les dépenses de relance dans les pays développés, nous parlons de 1 à 3% de la production globale. Les précautions prises sont d'autant plus importantes que les ressources sont rares. Il ne faut pas idéaliser non plus tout ce qui se passe ailleurs et noircir tout ce que nous faisons. L'exercice est utile uniquement pour améliorer les processus décisionnels futurs. Cependant, nous avons raté une chance historique de propulser notre pays au rang de pays émergent. 500 milliards de dollars, bien utilisés, sont susceptibles de forger une différence fondamentale. Nous aurions pu nous propulser sur une trajectoire d'un pays émergent. Au lieu de cela, nous sommes à la case départ avec quelques infrastructures en plus (probablement l'équivalent de 150 milliards de dollars en valeur réelle). Voilà ce que produisent les erreurs de dépenses publiques. Développer la Culture des Audits Les dépenses publiques consenties pour des raisons de politique économiques obéissent à un circuit bien déterminé dans les pays organisés. Des institutions spécialisées en amont sont chargées de la conception et de l'organisation d'un vaste débat autour des priorités de l'heure et comment les satisfaire. Nous avons également des institutions en aval (chez nous le CNES) qui devaient faire les audits pour faire ressortir les acquis et les insuffisances des dépenses publiques afin de les améliorer dans le futur. Ce schéma est sclérosé dans notre pays. Nous ne savons pas comment ont été prises les décisions du genre : financer pour 90% d'infrastructures et uniquement pour 10% pour l'économie productive et l'amélioration qualitative des ressources humaines. Nous devons réorganiser, repenser tout le processus des décisions publiques. Pour des projets exceptionnels, qui sortent de l'ordinaire nous devons également permettre aux citoyens de débattre et de comprendre. Actuellement, le débat sur l'opportunité d'ériger une mosquée gigantesque fait rage parce que la décision a été prise sans un minimum de concertation. On aurait pu avoir un projet différent avec d'autres objectifs et d'autres caractéristiques. Au milieu des années quatre-vingt-dix, les responsables en Malaisie sentaient la nécessité de soulager Kuala Lumpur devenue trop exiguë pour contenir l'ensemble des activités économiques. Les études et les concertations avaient dégagé de grands principes pour la construction d'une nouvelle capitale «Putra Jahua». Cette dernière est actuellement achevée à 90%. Mais elle fut conçue, comme un bijou, qui abrite également l'université, la recherche scientifique, l'art et surtout une conception architecturale orientée pour être également une ville touristique. Un canal artificiel et des répliques des meilleurs ponts du monde furent construits. Elle est actuellement une attraction touristique phare. Dans quelques années, les recettes touristiques tirées de la ville permettront de rembourser les investissements de construction. Les couts-bénéfices du projet sont nettement avantageux. Il a été bien maturé. Les concertations avaient permis de recueillir de brillantes idées. Le projet est un succès économique, culturel et touristique. L'abondance des ressources peut être une bénédiction ou une malédiction. Lorsque le «Mal hollandais (dépenses peu efficaces, car beaucoup de ressources sont tirées d'une rente) s'incruste, il devient une culture d'Etat ; et l'administration dépense des milliards de dollars sans atteindre des objectifs de développement escomptés. Mais heureusement que nous avons des cas (Canada, Norvège) où les énormes ressources dégagées d'une rente de situation sont injectées efficacement dans la sphère économique. Ce n'est pas simple, mais c'est faisable. La Russie de Poutine est en train de le prouver. Nous avons beaucoup à apprendre avant que nos dépenses publiques ne produisent du bien-être pour nos citoyens au lieu de la gabegie, la corruption, le gaspillage et, bien sûr, beaucoup de restes à réaliser