En février 1882, deux mois après le décès de son épouse Jenny, Karl Marx, philosophe, historien, théoricien communiste allemand, se rend à Alger. Il y séjourne quatre mois avec l'espoir de guérir de sa maladie. Le cinéaste franco-américain Philippe Diaz, qui a présenté récemment à Alger La fin de la pauvreté ?, un réquisitoire contre les théoriciens du «bonheur» capitaliste, envisage de réaliser un documentaire sur le séjour de l'auteur de Das kapital (le capital) en Algérie. - Le cinéaste franco-américain Philippe Diaz envisage de réaliser un documentaire en coproduction en Algérie. Qu'en est-il exactement ? Philippe Diaz a un beau projet depuis un certain temps. Il a peut-être du mal à le monter. C'est un projet intéressant pour l'Algérie. Il s'agit de revenir sur les derniers jours de Karl Marx en Algérie. Marx était à un moment apatride, il n'avait pas de passeport, ses enfants l'avaient renié… Il était dans la difficulté, malade. Il avait pris un bateau et débarquait à Alger pour profiter un peu du soleil ! Lui aussi était victime de la propagande sur le soleil de l'Algérie en hiver, alors qu'il y pleut beaucoup… Marx avait eu une histoire à Alger (...). Philippe Diaz est très engagé. A Hollywood, il a créé un studio qui s'appelle Cinéma libre. C'est lui-même qui distribue les films difficiles tels qu'Ecuador, de Jacques Sarasin (Suisse). Il nous a aussi beaucoup aidés pour l'organisation de ce festival. Montrer Karl Marx comme philosophe, comme homme qui avait marqué son temps, le XXe siècle, venant à Alger, est important. Le communisme a peut-être échoué, mais le marxisme n'est pas dépassé. Il s'agit de deux notions différentes. Il y a aujourd'hui la crise du capitalisme mondial. Une crise suscitée de l'intérieur pour rebondir et faire de l'argent fictif. Ce n'est pas une crise structurelle. Le capitalisme n'a plus d'opposition, n'a plus d'adversaire de sa taille, alors il cafouille. Aussi, faire un film sur la personnalité de Marx en Algérie est une question intéressante. Par le passé, l'Algérie avait été visitée par de grands hommes, comme Victor Hugo, qui étaient passionnés et qui avaient eu des regards différents. Le documentaire permettra de montrer la découverte progressive de Marx de la réalité algérienne, de l'élite algérienne, du sentiment national. Je sais qu'il y a des discussions actuellement sur le sujet. Il faut que la production se monte. Philippe Diaz sollicite la coproduction de l'Algérie à hauteur du tournage qui se fera ici. Il y a déjà un producteur algérien qui est intéressé. La ministre de la Culture a exprimé sa volonté d'aider ce projet. Un film qui ne peut être que bénéfique pour l'image de l'Algérie à l'étranger. Les choses vont se développer dans les semaines à venir. - Quel bilan faites-vous de ce premier Festival du cinéma d'Alger consacré au film engagé (du 29 novembre au 5 décembre 2011) ? Ces journées cinématographiques vont, je l'espère, déboucher sur un vrai festival l'année prochaine. Le festival, c'est une vraie compétition avec des films nouveaux. Je pense qu'avec le 50e anniversaire de l'indépendance du pays, nous allons avoir plus de films algériens. Les dates seront moins rapprochées avec le Festival d'Oran du film arabe (FOFA). Là, nous avons occupé le créneau laissé libre par le Festival du Caire qui ne s'est pas tenu cette année. Le Festival d'Oran devait se tenir en juillet et a été décalé à décembre. On pourra, dans le futur, travailler loin de la pression des événements. Nous sommes partis sur une base modeste, mais élevée sur le plan intellectuel. Nous n'avons pas demandé de moyens extraordinaires. Nous avions affaire à des gens qui étaient en conformité avec leur engagement dans des journées sur le film engagé. Oliver Stone n'a pas voulu qu'on lui achète le billet d'avion Los Angles-Bruxelles. Il a demandé qu'on lui assure le billet Bruxelles-Alger, c'est tout. Charles Burnett n'a trouvé aucune gêne à voyager en classe économique. Par le passé, nous avons vu des gens, soi-disant stars du cinéma, qui réclamaient des suites hôtelières et des limousines. Nous n'avons pas eu cela. Nous avons pris en charge les billets et le séjour. - L'engagement cinémato-graphique n'est, pour vous, pas politique uniquement... Le choix est aujourd'hui clair devant les gens. Nous avons couvert un certain nombre de thématiques. Cela va des luttes armées en Afrique avec le film Nambia, de Charles Burnett, aux séquelles des essais nucléaires français dans le sud de l'Algérie, au combat des femmes palestiniennes, à la violence contre les enfants… C'est donc un concept de l'engagement que nous avons voulu le plus large possible avec Mme Zahia Yahi qui est la commissaire : écologie, protection de l'enfant, conditions de la femme, lutte contre les inégalités, lutte pour la dignité…Bref, l'humanisme. Je serais presque tenté de consacrer, en 2012, un festival de l'humanisme. Aujourd'hui, cet humanisme se perd avec des films bourrés de violence et d'effets spéciaux… Mais il y a quelque chose qui renaît. Intouchables en France (comédie de Eric Toledano et Olivier Nakache, sorti en 2011, qui raconte l'histoire d'un handicapé aristocrate qui engage un jeune Noir de banlieue comme aide-domicile, ndlr) fait huit millions de spectateurs. C'est extraordinaire. Les gens redeviennent humains et dénoncent l'oppression. Aujourd'hui, les humains veulent se rapprocher. C'est cette fibre humaine qui était au centre de nos préoccupations dans ce festival, même si le mot engagement est peut-être ronflant, mais cache cette quête de l'humanisme qui s'est dérobée depuis quelques décennies. L'engagement n'est pas que politique. L'engagement c'est aussi soutenir les minorités et les gens qui souffrent d'oppression, défendre l'environnement…