Le débat est vif et implique de larges franges de la société civile et politique libanaise. Il est en tout cas à la mesure de l'enjeu. Et dans le cas présent pour le Liban, il s'agit de l'exercice du pouvoir et du respect des lois de ce pays qui n'oublie pas jusqu'où peut mener leur mépris. Pourtant, le gouvernement libanais n'a consacré hier que vingt minutes pour traiter cette question qui n'est pas banale. Il a en effet fait des protestations et amendé l'article 49 de la Constitution permettant au président sortant, Emile Lahoud, de conserver son pouvoir pendant trois années, soit jusqu'à 2007. Pendant des années, le Liban était synonyme de guerre civile avant que ne soit trouvé un règlement qui n'a pas tout réglé il est vrai, mais qui a le mérite d'avoir aidé les Libanais à mettre fin à une guerre absurde où il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu. C'est le pays qui a été réduit en ruines et ramené à des décennies en arrière. La possibilité d'une reconduction du président Emile Lahoud a été rejetée par des personnalités chrétiennes et musulmanes, politiques et religieuses, phénomène unitaire très rare. Les muftis Rachid Kabbani, sunnite, et Abdel Amir Kabalan, chiite, ont créé la surprise en soulignant, dans un communiqué commun, « l'importance de respecter la Constitution en ce qui concerne l'élection du président de la République » notamment. Les deux dignitaires ont en outre émis l'espoir que « les résultats de l'élection présidentielle expriment la volonté des Libanais et renforcent l'union nationale ». Ils ont ainsi rejoint dans leur refus d'amender la Constitution le patriarche chrétien maronite, Nasrallah Sfeir, chef de la communauté de laquelle est issue le chef de l'Etat, puisque au nom du Pacte national, un accord non écrit tacitement reconduit par les accords de paix dits également de Taef de 1990, le chef de l'Etat est un chrétien maronite. Le cardinal Nasrallah Boutros Sfeir, connu pour son incroyable activité politique durant les années de guerre civile pour avoir sillonné le monde en vue de promouvoir une solution, et c'est à ce titre d'ailleurs qu'il était venu en Algérie en 1988, avait clairement condamné sans la moindre ambiguïté les appels « à la réélection à la magistrature suprême de la même personne pour une durée indéfinie, à l'instar de ce qui se passe dans les pays qui nous entourent ». Le message est clair tout autant que l'allusion à ces régimes dynastiques ou tout simplement dictatoriaux alors que le Liban, de par la composante de sa société et son dynamisme, aspire à plus de liberté et d'engagement démocratique même dans les limites tracées par les accords de 1990. « Le communiqué des deux muftis a montré que la société libanaise évolue dans un sens unitaire et que les Libanais n'ont plus besoin de tutelle extérieure pour gérer leurs affaires », a déclaré Samir Frangié, figure de proue de l'opposition chrétienne. Selon lui, le texte est d'autant plus important que les deux muftis avaient rejeté un appel, en septembre 2000, des évêques maronites pour un retrait de l'armée syrienne stationnée au Liban depuis 1976. Mais la rare convergence islamo-chrétienne n'a pas résisté aux pressions. « Damas est mécontente d'une prise de position musulmane qui va à l'encontre de son jeu et de ses intérêts », a estimé un autre opposant chrétien sous le couvert de l'anonymat. En effet, une nouvelle mouture du communiqué commun a été distribuée, amputée de la référence au respect de la Constitution, après que la première version eut circulé pendant cinq heures sur les ondes des médias audiovisuels. En vertu de la Constitution, le président en exercice ne peut briguer un second mandat successif. Mais l'article 49 de la Constitution a été violé à deux reprises, le Parlement libanais ayant été forcé de l'amender. La première fois en 1995, pour prolonger de trois ans le mandat du président Elias Hraoui, et une deuxième fois en 1998, pour ouvrir la voie à l'élection de M. Lahoud, alors commandant en chef de l'armée qui n'avait pas démissionné dans le délai réglementaire pour devenir éligible. La possibilité d'une réélection d'Emile Lahoud ou la prorogation de son mandat de six ans, qui expire le 24 novembre, a été avancée par des hommes politiques libanais prosyriens ayant rencontré le président syrien Bachar Al Assad. Cette possibilité a été retenue par la Syrie alors que son influence au Liban toujours intacte puisque les Etats-Unis ont décidé de la combattre. A cet égard, une loi, adoptée fin 2003 par le Congrès, le Syrian Accountability Act, prévoit un recouvrement de la souveraineté du Liban. Quant à la Syrie, elle compte difficilement ses alliés au Liban. L'un de ses alliés, l'ancien chef du Parti socialiste progressiste (PSP) et à ce titre chef de la communauté druze, le député Walid Joumblatt, avait lancé le premier la campagne. « La reconduction suscitera la déprime », a-t-il dit, soulignant que « l'homme n'a aucune valeur s'il n'a pas la liberté de choisir ». Ce ne sont pas des propos en l'air. La société libanaise a trop souffert de choix faits à son détriment. Un personnage bien connu de la scène politique a été, quant à lui, jusqu'à parler de « guerres pour les autres ».