Printemps arabe, dit-on ou a-t-on dit. Prenons-le ainsi. Printemps qui a vu Ben Ali fuir la Tunisie comme un voleur, la queue entre les jambes, pour s'abriter en Arabie Saoudite. Printemps qui a vu Hosni Moubarak, sur une civière, se présenter devant un tribunal égyptien, répondant de ses actes criminels. Printemps – assombri par la manière dont il a été tué – qui a vu El Gueddafi finir comme «un rat», terme par lequel il définissait son peuple, après avoir été défait et capturé comme un vulgaire bandit. En voilà des images de printemps. Des images intéressantes, que dis-je ! Une image forte de dictateurs, hier tous puissants, aujourd'hui penauds et ratatinés. Qui avait prévu une telle fin ? Rappelez-vous, rappelons-nous ! Le président tunisien gouvernait – régner serait mieux adapté – sur un pays par la terreur, le mettant en coupe réglée, érigeant le clientélisme et le népotisme en vertus, emprisonnant, torturant, étouffant toute voix (e) discordante, offrant une façade rassurante quand tout craquait de l'intérieur. Rappelez-vous, rappelons-nous ! Le président Hosni Moubarak dirigeant un pays par la force et la corruption, précarisant la majorité de la population, poussant des pans entiers dans une misère totale, à tel point que certains disputent la place aux morts dans les cimetières, afin de se loger, enrichissant inconsidérément sa famille, ses valets et ses sbires et se préparant à transmettre le pouvoir à son fils, comme si cela leur était dû. Et que dire du leader libyen, le fantasque révolutionnaire (?) qui a fait de son pays la risée du monde, sans institution ni projet, sans destin non plus, haranguant peuples et gouvernements, menaçant, punissant, exilant, assassinant – ou donnant les ordres, c'est tout comme – des innocents, même lorsqu'ils sont dans un avion civil ! Que dire donc de ces autocrates malfaisants, longtemps intouchables, aujourd'hui minables, oui minables ? Que dire de leur arrogance d'hier devenue petitesse et bassesse ? Que dire aujourd'hui que les partis islamistes, par le jeu démocratique, arrivent au pouvoir en Tunisie, en Egypte, au Maroc – alors que ce pays n'a pas connu de révolution violente –, demain en Libye ? Qu'il faut accepter le verdict des urnes. Nous parlons là de sociétés fortement islamisées, dans lesquelles l'idéologie wahhabite a fait son chemin depuis longtemps, les experts en tous genres le disent. Il reste aux sociétés civiles de rester vigilantes et d'exercer leur contrôle tel que prévu par les règles démocratiques. Et l'Algérie ? Printemps d'aujourd'hui – il n'est pas là – ou printemps d'hier – ce qu'affirment certains. Ni aujourd'hui ni hier. C'est l'hiver, un long hiver. Le printemps reste à faire, à inventer. Sans violence. Ce pays a trop souffert pour accepter le remake des années 90. Les années 90 ? C'est la guerre civile appelée pudiquement tragédie nationale. 200 000 morts paraît-il, il n'y a à ce jour aucune statistique fiable. L'ensemble de la population a été touché dans sa chair. Que dire des enfants qui avaient 10 ans en 1992 ? Que dire de ceux qui sont nés durant cette décennie ? Que dire devant les gouffres creusés dans leurs ventres ? Printemps d'hier ? Tragédie terrifiante, traumatisante, dont les effets se feront sentir longtemps encore. Pour ceux qui doutent, tournez la tête vers l'Espagne où, plus de 70 ans après la guerre civile 1936-39, les blessures rejaillissent. Et demain ? Les islamistes accéderaient au pouvoir ? Ne le sont-ils pas déjà ? Trêve de mensonges ! Que dire d'autre aujourd'hui quand la question affleure : 200 000 morts pour rien ? Que dire ? Sauvegarde de la République ? Laquelle ? Celle de Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane, Lotfi, et autres belles âmes qui ont donné leurs vies pour nos rêves ? Celle du népotisme, du clientélisme et de la corruption d'aujourd'hui ? Que dire, alors ? En ce qui me concerne, rien. Rien d'autre qu'écrire pour donner voix aux miens, mutiques dans leur vie et dans leur mort. Rien d'autre que des mots alignés sur une feuille pour faire entendre la complainte des oubliés.