Contre l'attribution de logements sociaux à des étrangers, contre la faillite de l'hôpital, contre la politique de l'emploi… Depuis 2010, Laghouat est régulièrement secouée par des mouvements de protestation, comme cette semaine. Une tradition dans cette ville, où la société civile est particulièrement bien organisée. De notre envoyé à Laghouat Place de la Résistance. Ça ne s'invente pas. Hier soir encore, après une semaine de manifestations, d'arrestations et d'affrontements avec les forces de l'ordre, et malgré les promesses du wali (voir ci-dessous), une cinquantaine de jeunes occupaient toujours une des places de Laghouat. Très tôt dans la matinée, certaines routes autour de la place avaient été bloquées à la circulation et des barrages filtrant avaient été instaurés par les jeunes. «Il n'est pas question d'arrêter le mouvement tant que le wali n'a pas été démis de ses fonctions, assurait un citoyen sous le couvert de l'anonymat. La protestation va continuer tant que les gens qui ont obtenu des logements et qui ne sont pas de cette wilaya ne sont pas mis dehors.» Depuis 2010, cette ville de 450 000 habitants, à 400 km au sud d'Alger, est devenue un des épicentres de la contestation en Algérie. Contre la faillite de l'hôpital, contre l'attribution «obscure» de logements sociaux, contre la politique de l'emploi… (voir chronologie ci-dessous) : les mouvements de protestation reprennent régulièrement de la vigueur. A l'origine de la protestation, cette fois-ci, la publication d'une nouvelle liste de bénéficiaires de logements sociaux. Des commerçants et des chômeurs, solidaires des contestataires, ont ensuite rejoint le mouvement. Il faut dire qu'à Laghouat, un très grand nombre d'associations et de comités de quartier très médiatisés sur la Toile grâce à la diffusion de vidéos, chapeautent le mécontentement de la population. Largesses Face au ressentiment de la population envers les élus locaux, les associations sont devenues les seuls interlocuteurs crédibles de la population face au pouvoir local. Elles jouent les intermédiaires avec les autorités pour faire remonter les doléances et les revendications. «C'est la seule façon pour les Laghouatis d'avoir accès aux autorités locales, explique Belabbes Beniche, président du conseil des associations. Autant les responsables locaux méprisent les citoyens, autant ils sont plus prompts à réagir quand la demande provient d'une association officielle. Mais il ne faut pas croire que toutes les associations militent pour le bien des habitants. Beaucoup profitent des largesses des autorités pour se faire acheter…» Lakhdar Benkouider, membre de la Ligue des droits de l'homme, avance une autre explication. Pour lui, les gens se sont organisés pour faire face à certaines pratiques de corruption étrangère à la culture de la ville, apparue avec l'arrivée, des autres wilayas limitrophes, d'une nouvelle population venue s'installer dans la région. «Ici, on n'a pas l'habitude de payer pour avoir un logement ou un papier auprès de l'administration, souligne-t-il. Ces dernières années à Laghouat, des pratiques de ce genre sont apparues, et les gens refusent de cautionner ces méthodes.» Comme Hmida, 28 ans. Aujourd'hui, il a du mal à marcher. Il traîne sa jambe gauche qui le fait horriblement souffrir. Le voilà obligé de s'appuyer contre la devanture du petit local qui jouxte la maison familiale, dans le quartier populaire de Sadikiya, pour tenir debout et raconter à ses amis, en cercle autour de lui, les conditions de son arrestation et sa nuit passée au poste de police. Insulté «Les policiers sont venus m'arrêter chez moi à 7h du matin, raconte Hmida. Ils avaient une liste d'une vingtaine de personnes à emmener au poste de police. Une fois là-bas, j'ai été frappé et insulté par des policiers furieux et surexcités qui m'ont reproché d'avoir jeté un caillou sur l'un de leurs véhicules. Je leur ai dit que je ne l'avais pas fait, mais que j'avais le droit de protester contre l'injustice commise par la wilaya.» Relâché le lendemain matin, après avoir été contraint de signer un procès-verbal établi par la police, Hmida promet à ses amis de venir les rejoindre sur leur lieu de rassemblement dès que les douleurs qu'il ressent à la jambe lui permettront de marcher correctement. Dans ce quartier situé au sud de la ville, de petites maisons longent la route qui traverse le quartier. Ici, le taux de chômage est très élevé et les habitants, réputés contestataires, sont redoutés des autorités locales. Lors des émeutes «de l'huile et du sucre» de janvier 2011, les résidants du quartier ont tenu tête aux forces de sécurité durant trois jours, à partir de la colline qui surplombe le quartier, baptisé «Ohoud» en référence au film El Rissala. Ahmed, 38 ans, marié et père d'un enfant handicapé, vit dans une pièce-cuisine depuis près de vingt ans. Au milieu de l'unique pièce d'habitation, un madrier est disposé pour soutenir le toit en piteux état. Trois bassines sont disposées autour pour récupérer les eaux de pluie. Dans un coin où se trouve une meïda (table), trois matelas sont superposés. Sofiane, 12 ans, est allongé sur une couverture à même le sol. Il souffre d'un handicap moteur qui l'empêche de bouger et exige des soins et un traitement dispensés à Alger. Ben Bella Il y a dix ans, Ahmed a déposé un dossier auprès de la wilaya pour bénéficier d'un logement social. Il attend toujours. «J'ai accompagné ma demande de logement du dossier médical de mon fils, raconte Ahmed. J'attends, alors que des personnes qui se sont installées récemment dans les alentours viennent de bénéficier d'un logement social.» Ahmed a tenté de s'approcher du président Bouteflika, lors de sa visite du 14 décembre 2011, pour l'ouverture de l'année universitaire. Tenant dans ses mains sa demande de logement et le dossier médical de son fils, il a essayé de les remettre à un membre de la délégation qui accompagnait le Président. Mais aucun officiel n'a voulu se saisir du dossier. «Le wali nous avait donné des garanties pour régler nos problèmes. Il avait supplié la population de ne pas perturber la visite présidentielle. Mais une fois Bouteflika parti, les promesses n'ont pas été tenues.» Dépité, Ahmed a rejoint la contestation qui oppose certains habitants de la ville au wali, Youcef Chorfa, au sujet des bénéficiaires des logements sociaux. Après avoir été délogé par les forces de l'ordre de l'endroit qu'il occupait en face de la wilaya, il s'est installé sur la place de la Résistance, en compagnie d'autres habitants, pour continuer sa protestation. «Laghouat est une ville qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, explique Yacine Zaïd, responsable de la section locale de la Ligue des droits de l'homme. L'histoire de cette ville est émaillée de faits de résistance farouche contre toutes les formes d'autorité.» Lors du coup d'Etat de 1965 contre le président Ben Bella, par exemple, la ville avait refusé de cautionner le putsch et a continué à manifester de la sympathie pour le président déchu. Et pour bien marquer son rejet de la prise de pouvoir par la force du président Boumediene, plus de trente nouveau-nés avaient été prénommés… Ben Bella ! «Ville de la loi» Ce pied de nez de la population avait été très peu apprécié par le Président qui en avait gardé une rancœur tenace durant de nombreuses années. Les habitants sont fiers des faits d'armes de la population qui émaillent l'histoire de la ville. Réda Bouamer, 55 ans, tient une librairie-papeterie sur la rue Margueritte. Il y a quelque années, il avait eu l'idée saugrenue de transformer l'appartement qu'il possède au-dessus de son magasin, en musée ouvert au public, dans lequel il exposait tous les objets et archives relatifs à l'histoire de la ville, qu'il avait pu collectionner durant des années. «A Laghouat, les gens se sont toujours battus contre l'injustice et pour leur indépendance, souligne-t-il. En 1852, une armée forte de 6000 hommes et sous le commandement de trois généraux français – Pélissier, Yussuf et Bouscaren – a assiégé la ville. La bataille a été terrible et la moitié de la population fut décimée mais les habitants ont continué malgré tout à résister, à se battre. Il ne faut pas oublier que cette ville est surnommée la ville de la Loi !» On comprend mieux pourquoi, hier soir, la police, à qui il est reproché d'avoir usé de la force durant cette semaine de manifestations et d'avoir procédé à des arrestations musclées, a reçu l'ordre de se tenir en retrait du lieu de la contestation. Les autorités locales craignent un regain de violence après la prière du vendredi, d'autant que des informations font état de la possibilité d'une nouvelle explosion de violence. «Je crains que demain les choses empirent, s'inquiète Omar, un père de famille. Il faut que le wali trouve un terrain d'entente avec les habitants qui réclament d'être prioritaires dans l'attribution de logements. Dans cette ville, ce sont toujours les autres qui profitent de notre générosité et de nos richesses…»