Journaliste à Radio France Internationale et écrivain, Yahia Belaskri est à Haïti jusqu'au 7 février pour participer au festival des Etonnants Voyageurs Haïti. Retrouvez chaque semaine dans El Watan Week-end son carnet de route. Haïti, pays mythique – n'est-il pas le lieu de naissance de la 1re République noire ? C'était en 1804. Haïti, pays réel. Janvier 2012, quelques jours à peine après la célébration – quel vilain mot- du 12 janvier 2010, date à laquelle le pays a été frappé par un séisme terrifiant, tuant près de 300 000 personnes, le mettant à terre. Haïti à terre ? Port-au-Prince à terre. Les blessures – que dis-je ! Les meurtrissures – se découvrent dès l'atterrissage de l'avion. L'aérogare est fermée, le passage se fait par un hangar à l'équipement sommaire mais fonctionnel et les formalités sont vite accomplies, et voilà le visiteur happé par la moiteur et le grouillement des chauffeurs de taxi et autres porteurs. La voiture s'ébranle vers la capitale, la nuit est tombée et la terre blessée se révèle dans les soubresauts de la voiture. Routes défoncées, craquelées, encombrées. Il faut une heure pour arriver à l'hôtel Karibé, forteresse isolée où se pavanent fonctionnaires d'ONG – il y en a près de 1500 ! – américains, belges, suisses, français et quelques Haïtiens qui ont les poches pleines. J'y prends place et voilà Lionel Trouillot et sa belle âme humaine, celui qui nous interroge sur notre présence au monde, qui s'annonce, sourire aux lèvres et franche accolade. Après Alger où l'on s'était vu à la librairie Mille Feuilles et Paris 13e chez Fabienne, à la librairie Les Oiseaux rares, nous voilà de nouveau réunis. Alger–Paris–Port-au-Prince. Nuit paisible dans le Haïti mythique et j'y suis. Que ne l'ai-je rêvé ! Le lendemain, Port-au-Prince offre ses plaies béantes, suintantes. Un chaos généralisé. Chaos ? Peut-être pas, car chacun s'y meut dans une anarchie dantesque, le champ de Mars est toujours occupé par les tentes, les ruines sont encore là et point de chantier avec pelleteuses, grues et camions. La reconstruction ? Je ne l'ai pas vue. Virée au Café Press avec James Noël, le poète, fou et lucide. Fou ? Kamikaze, oui. Sentinelle au sens de la vigie chère à Jean Sénac, il refuse l'anéantissement. «Soyons des êtres parasismiques», tonne-t-il. Bel endroit ce café où trône un piano devant un divan moelleux, une superbe terrasse. Aux murs, peintures et photos d'artistes. Dans la salle, Georges Castera, 76 ans, un monument vivant de la poésie haïtienne. Passant du français à l'espagnol et au créole, il avertit : «Au pays d'où je viens/ nous avons laissé nos rêves sur le dos,/ nous nous sommes mis à courir après ceux/ qui passent nus dans les rues…» Près de lui, Francesco Gattoni, photographe italien, appareil en bandoulière, arpentant le monde, offrant son regard à ceux qu'on ne regarde plus. De Cuba aux Roms ou aux sans-papiers, l'œil bienveillant. A suivre…