L'enseignant Omar Fellah, 23 ans, a été agressé la semaine dernière en pleine salle de cours. L'affaire est actuellement entre les mains de la justice. Ce professeur de langue arabe remet en cause tout le système scolaire et les textes réglementaires qui font des élèves des rebelles. - Racontez-nous, en détail, ce qui s'est passé le jour de votre agression... Le 25 janvier dernier, à 13h30, j'entre dans ma classe de première année secondaire scientifique pour faire mon cours. Je demande aux élèves d'ouvrir leur livre. Etant donné que la méthode de l'approche par compétence est appliquée, il est impossible de travailler sans ce support. Autrement dit, l'élève doit absolument avoir son livre sur lui. Tous les élèves s'exécutent, sauf un. Je lui demande gentiment où se trouve son livre, il me répond avec agressivité qu'il est encore tôt pour le sortir et que ce que je fais est de la hogra. Dix minutes plus tard, je m'aperçois qu'en fait, il n'a pas de livre. Je demande alors à une élève, chef de classe, d'appeler le surveillant pour le faire sortir du cours. L'élève en question se dirige vers une autre camarade pour lui prendre, de force, son livre. J'essaie d'intervenir et c'est là que l'élève me frappe au visage. Au même moment, le surveillant arrive et le fait sortir. Le visage ensanglanté, je pars en urgence à l'infirmerie de l'établissement. Conduit vers les urgence de l'hôpital de Relizane, j'ai été ausculté par un médecin légiste. Le médecin assermenté m'a délivré un arrêt de travail de douze jours. J'ai donc déposé une plainte et le lendemain, le procureur de la République du tribunal de Oued R'hiou a entendu les témoignages des deux parties. L'élève, sur place, accompagné de son père, a tout nié. Il n'a pas hésité à m'accuser d'autres faits. Sur place, il a été mis sous mandat de dépôt. Et selon mes dernières informations, il serait à la prison de Relizane. - Où en est votre dossier au niveau de la justice ? Je tiens toujours à ma plainte, je n'ai pas encore dit mon dernier mot. Pour le moment, je ne suis pas près de pardonner, même sous la pression des parents de l'élève. Je suis donc entre deux feux. Jeudi soir, les parents de l'élève sont venus chez moi pour me demander pardon. Je les ai seulement écoutés, mais mes collègues ne veulent pas que je pardonne. J'ai même reçu des menaces et des intimidations de la part de ses parents. Cette famille a tout de même des antécédents. Le frère de l'élève a été radié de l'ANP suite à une agression. - Le phénomène de la violence envers les enseignants prend de l'ampleur, mais le ministère continue à le minimiser… L'élève est victime du système scolaire et de tout cet arsenal juridique que le ministère de l'Education a établi contre les enseignants. Prenons l'exemple de cet élève : depuis le collège, il n'a jamais eu de résultats satisfaisants. Il est passé de la 1re à la 2e année avec rachat, de la même manière pour les deux années suivantes qui se sont soldées également par un échec patent au BEM. Il a tout de même été admis au lycée. Pour ce premier trimestre, il a eu 6/20 de moyenne ! Il aurait dû être exclu du collège d'autant plus qu'il a 18 ans. L'élève en général ne connaît pas ses devoirs et ses droits. Le rôle négatif des médias a contribué à une prise de conscience des élèves qui sont devenus plus revendicatifs. L'élève sait qu'il est interdit de le faire sortir de la classe ou de le corriger. Le prof doit seulement faire un rapport et ce n'est que quand il y en a un troisième qu'il sera traduit devant le conseil de discipline. Malheureusement, toute cette argumentation a amené les élèves à se rebeller. Ils ont même le droit d'établir un rapport contre leur enseignant ! Le ministère a trop pénalisé les enseignants en donnant raison aux élèves. Cette complicité arrange évidemment le ministère qui doit rendre des comptes au président de la République. En leur facilitant le passage et la réussite scolaire, le ministère doit donner l'image d'une réforme réussie et particulièrement l'approche par compétences. C'est là où se situe le faible niveau des étudiants universitaires. Je suis d'ailleurs étonné de la grande contradiction entre le niveau et le taux de réussite au bac. - Vous dénoncez donc le mutisme du ministère... Personne ne m'a appelé. Seul le directeur de l'éducation de la wilaya l'a fait. Il m'a promis de me transférer à l'établissement près de mon lieu de résidence. Je fais 45 km chaque jour. Pour arriver à 8h au lycée, je dois commencer mon trajet à 4h du matin et je fais 18 heures par semaine. Le ministre aurait dû se manifester. En principe, cet élève doit être exclu de l'établissement. La pire punition pour cet élève qui m'a agressé serait qu'il soit transféré vers un autre établissement. Pis, il peut traduire un recours pour s'y opposer. Je considère que c'est une injustice. Car il présente un réel danger pour ses futurs professeurs et pour ses camarades. En plus, seul le ministre est habilité à l'exclure définitivement de la scolarité. Une décision qui n'est pas encore prise apparemment et je suis certain qu'elle ne le sera jamais. Il faut que le ministère pense à l'enseignant et pas seulement à l'élève. - Le ministère n'hésite jamais à répondre aux exigences des élèves. Dernièrement, il a cédé en fixant le seuil des programmes… Cela ne doit absolument pas se faire. Il ne reste plus qu'à leur donner les cours et les paragraphes à réviser. C'est une catastrophe à mon avis. - Que proposez-vous alors ? Il faut que la réglementation ainsi que les règlements intérieurs des établissements soient plus sévères vis-à-vis des élèves violents. Actuellement, il n'y a pas de répression ni de punition. Y a-t-il des élèves qui viennent une semaine avant les devoirs ? Les décisions du conseil de discipline sont considérées comme un congé pour les élèves. Il y en a qui n'hésitent pas à commettre des erreurs pour qu'ils soient traduits devant ce conseil afin de bénéficier de huit jours sans scolarité. Il faut instaurer une discipline à l'école. Nous sommes loin d'un climat de savoir serein. Au contraire, nous évoluons dans une ambiance tendue.
- Nous avons l'impression que les associations des parents d'élèves sont absentes… Oui, elles sont absentes. A l'instar des syndicats et des partis politiques, elles ne se font remarquer que quelques jours avant les élections. Je tiens également à signaler que les élèves des villes intérieures du pays sont excessivement agressifs. Ils n'ont aucune infrastructure sportive ou de loisir à leur disposition. Ils n'ont pas où se défouler, alors ils le font en classe. - Pensez-vous continuer à enseigner ? Je suis destiné à l'enseignement. Mais je compte continuer mes études en post-graduation pour être dans l'enseignement supérieur. Il n'est pas question que je continue dans le secteur de l'éducation nationale. Au rythme où vont les choses, les élèves prendront le dessus. J'estime qu'il n'est pas exclu de voir un jour les enseignants disparaître. Et je ne suis pas capable de recevoir mon agresseur en classe. L'enseignant assure également le rôle des parents et de l'administration. C'est un lourd fardeau à porter.