Vingt films en compétition au 62e Festival international du film de Berlin, avec pour seul espoir : l'Ours d'or 2012 l Deux cinéastes algériennes, Safinez Bousbia (El Gusto) et Fatma-Zohra Zamoum (Qidach T'hebni), présentes à Berlin, gardent un œil sur les ventes internationales de leurs films. Ruée de caméras de télévision ; crépitements de flashs ; foule massée dans l'air glacial ; stars en vogue couvertes de fourrures et de bijoux. Boualem Sansal se risquant ici au joyeux exercice passant de l'écriture de ses romans au jury international, glissant de l'écran de son ordinateur au grand écran de la Berlinale, côtoyant des vedettes du passé et du présent. Ainsi, dès le début, le Festival du film de Berlin démarre en trombe et cherche à battre ses propres records : celui du nombre de films, des milliers dans plusieurs sections parallèles, des montagnes de pellicules au marché du film. Il y a même une curieuse section dédiée à l'art culinaire... Celui du tapage médiatique. Le meilleur endroit pour voir des films à Berlin c'est le Berlinale Palast, occupé dès le matin par les milliers d'envoyés spéciaux des médias du monde entier. Celui du record de froid. Si le mois de février est le pire moment pour faire un festival, Berlin, cette année, a battu tous les records. Sous le ciel obscurci de nuages noirs, tout va lentement, le sol est gelé, les Berlinois, à chaque coin de rue, avalent des soupes chaudes et des saucisses grillées. Heureusement, les journalistes sont tous logés dans le quartier du festival, à Postdamer Platz, mais même pour parcourir la courte distance entre les salles et l'hôtel, c'est une très rude épreuve. Tous aux abris, dans les salles ! Sur les écrans, une œuvre va chasser l'autre, d'ailleurs comme dans la salle de conférences de presse, un cinéaste est poussé vers la sortie par le suivant dans la seconde qui suit la fin de son speech. Telle est la loi infernale des festivals. Dans le camp des critiques aussi, comme chaque fois, les déceptions et les enthousiasmes se suivent au rythme des projections. Les jugements catégoriques fusent : c'est nul, ou c'est beau, et ainsi de suite après chaque projection. Côté public, les Berlinois se ruent chaque matin aux guichets. On voit de longues files très disciplinées, chacun attendant son tour. Il n'y a pas d'anarchie à Berlin pour la vente des billets comme dans les festivals «sous-développés». Les Berlinois ne craignent pas de voir les films en version originale sous-titrés. Rares sont les cinéphiles ici qui ne parlent pas une langue étrangère. Ils aiment leur cinéma national et les metteurs en scène allemands sont applaudis dès que leurs noms apparaissent aux génériques. Cette année, il y a Werner Herzog, Volker Schlondorf, Hans-Christian Schmid, Christian Petzold... C'est aussi un public très critique dès qu'une œuvre n'est pas à la hauteur, nationale ou étrangère. On peut penser que tout ce beau monde sera attentif au film de Tony Gatlif : Indignados !, inspiré du livre de Stéphane Hessel (Indignez-vous !).Tony Gatlif, d'origine algérienne, présente son travail comme un témoignage-fiction sur les jeunes manifestants à Madrid et ailleurs, révoltés contre le système économique (Occupy Wall Street), refusant l'exploitation. Le récit est filmé à travers le regard d'une jeune femme africaine, elle-même clandestine et exploitée. Un autre film très attendu : Hijos de las nubes, la ultima colonia (Les enfants des nuages, la dernière colonie), sur la résistance du peuple du Sahara occidental contre l'occupation marocaine.Ce film est produit par la grande star espagnole Javier Bardem et réalisé par Alvaro Longonia.La réputation mondiale de l'acteur Javier Bardem ne l'empêche pas, au contraire, d'être un homme éclairé, politiquement conscient, qui milite pour l'indépendance du peuple sahraoui depuis plusieurs années, comme d'autres militent pour Haïti, le Sud Soudan ou les questions humanitaires. Javier Bardem affirme que le «Printemps arabe» a commencé au Sahara occidental et dénonce la France et les Etats-Unis pour leur soutien à Rabat. D'Afrique, on croit pouvoir affirmer que le film en compétition : Aujourd'hui, d'Alain Gomès (Sénégal) est le premier du genre du continent en course pour l'Ours d'or. Si on exclut celui de Rachid Bouchareb London River projeté, ici, il y a trois ans. Alain Gomes filme le retour d'un Dakarois chez lui, après des années d'exil aux Etats-Unis. Et les choses ne se passent pas comme il s'y attendait. La voie singulière et très talentueuse à la fois de Zhang Yimou l'a conduit à faire le film le plus cher du cinéma chinois, le plus cher de tous les temps (100 millions de yuans) : The Flowers Of War, sur le massacre en 1937 de la population de Nankin par l'armée d'occupation japonaise. L'auteur de Sorgho Rouge, Shanghai Triade, Epouses et concubines a provoqué beaucoup de jalousie dans son pays. Son film a cependant rapporté beaucoup d'argent à ses producteurs à sa sortie en Chine et aux Etats-Unis. La surprise de la Berlinale, c'est peut-être le film des frères italiens Paolo et Vittorio Taviani qui ont réalisé une première en faisant jouer des détenus d'une prison de Rome, d'une adaptation filmée de Jules César, la tragédie de William Shakespeare. Personnage remuant du milieu cinématographique d'Asie, le Philippin Brillante Mendoza a filmé pour sa part Isabelle Huppert dans Captive, l'histoire d'une missionnaire européenne qui se retrouve au cœur d'une prise d'otages par le groupe d'Abou Sayyaf. Dans la section Panorama, Mort à vendre de Faouzi Bensaïdi (Maroc) illustre sa préférence pour les thrillers. Il a fait déjà deux films dans la même veine : Mille mois et WWW (What a Wonderful World). Au Festival de Berlin, il faudrait avoir le don d'ubiquité. Etre là et ailleurs, suivre la compétition, le panorama, le forum... C'est un absolu dilemme. Et de temps en temps, aller au coin de la rue manger une soupe bouillante...