L'activisme du leader d'Ennahda n'est pas uniquement motivé par la solidarité doctrinale, mais a également des soubassements géopolitiques. Le chef du parti islamiste tunisien Ennahda, Rached Ghannouchi, prévoit et souhaite une victoire des islamistes en Algérie lors des élections législatives du 10 mai prochain. «Malgré les divisions des partis de cette mouvance», a-t-il affirmé hier dans les colonnes du quotidien arabophone El Khabar. Le leader d'Ennahda s'invite ainsi en Algérie pour faire campagne pour ses «frères» algériens en pronostiquant de bons résultats en leur faveur. Sur quel critère fonde-t-il en fait ses prévisions ? On ne le saura pas parce que la question ne lui a pas été posée. Mais l'on peut deviner les visées et les inquiétudes du leader islamiste tunisien. Elles sont d'abord d'ordre idéologique : les deux ont pour objectif l'instauration d'un ordre religieux, même si les expériences tragiques dont l'islamisme est tenu pour responsable, en Algérie surtout, les ont poussés à mettre un bémol à leurs ambitions. Pas forcément par conviction. C'est surtout par tactique. Il est clair que le souhait d'Ennahda, qui règne sur la Tunisie depuis la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali, est de voir s'installer au Maghreb un nouvel ordre, celui de l'islamisme politique. C'est déjà fait en Tunisie, en Libye et au Maroc. Il ne manquerait, en réalité, que l'Algérie pour fermer la boucle. Dans l'affaire, les nouveaux maîtres de Carthage comptent bien engranger le gros lot, eux qui prétendent jouer les premiers rôles dans un espace maghrébin totalement «vert», où Ghannouchi peut revendiquer le droit d'aînesse et prendre un ascendant idéologique sur ses pairs. L'activisme du leader d'Ennahda n'est pas uniquement motivé par la solidarité doctrinale, mais a également des soubassements géopolitiques exprimés crûment par le président provisoire tunisien, Moncef Marzouki. Car l'émergence d'une majorité non islamiste en Algérie les mettrait à l'étroit alors que leur victoire les conforterait, à coup sûr, autant sur le plan diplomatique que sur le plan interne. L'on comprend très bien donc les prévisions souhaitées du leader du parti islamiste au pouvoir à Tunis. Mais il faut le signaler, Rached Ghannouchi, à qui l'on a déroulé le tapis rouge à Alger, reçu à la Présidence en chef d'Etat sans avoir aucune fonction officielle, avant de faire une virée au siège du Mouvement de la société pour la paix de Bouguerra Soltani, n'est pas loin du compte. Dans l'absolu, si les dictatures maghrébines, parce qu'elles ont passé leur temps à étouffer les aspirations démocratiques de leurs peuples, ont laissé clore l'islamisme politique, l'on ne sait pas comment l'Algérie ferait exception. On pouvait présumer que notre pays ne retomberait pas dans l'expérience tragique et presque mortelle de l'islamisme politique. Seulement, force est de constater que les leçons de la tragédie des années 1990 n'ont pas été retenues : les islamistes ont repris du poil de la bête en l'absence de projet clair et grâce aux tergiversations et aux manœuvres de «la direction politique du pays» qui a débouché sur une situation politique des plus déliquescentes, affaiblissant ainsi la place et le poids de l'Algérie même dans son propre espace géographique. Si Rached Ghanouchi s'autorise aujourd'hui à s'immiscer dans un espace qui devait lui être infranchissable, c'est qu'il y a péril en la demeure.