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Ne commettons pas à nouveau les erreurs de nos pères
Malek Bensmaïl. Documentariste
Publié dans El Watan le 02 - 03 - 2012

Rarement un réalisateur n'a su si bien décrire la société algérienne. Jamais un cinéaste n'a été aussi censuré. Malek Bensmaïl continue, avec énormément de talent et de persévérance, à combler nos mémoires défaillantes. L'Institut français de l'audiovisuel (INA) vient d'éditer un coffret de 4 DVD de cet auteur humaniste.
- Pourquoi un tel coffret ?
Ce coffret initié par l'INA est une belle proposition. Il réunit en effet quatre de mes longs métrages documentaires et un court essai de fiction, Dêmokratia, une adaptation libre d'Une peine à vivre, de Rachid Mimouni. Cet objet est une manière d'enregistrer cette mémoire contemporaine et actuelle algérienne. A travers lui, la question de la mémoire se pose malgré la dématérialisation accélérée de la diffusion des films. Donc cela a du sens aujourd'hui. Oui, une archive de la réalité des Algériens des années 2000 me semble cruciale. Nous devons peu à peu combler ce vide mémoriel, ce vide d'images. Ne commettons pas à nouveau les erreurs de nos pères. Enregistrons, tournons avec des démarches et des intentions fortes, des films de fiction et documentaires, pour qu'ils soient vus au cinéma, à la télévision, sur le net, en DVD et ainsi garder et construire une mémoire pour notre avenir. Mais en revanche, construisons cet avenir nous-mêmes. Je me pose une question, comme vous le savez, le premier film important de l'indépendance a été confié par l'Etat algérien à l'Italien Gillo Pontecorvo (La Bataille d'Alger). Cela peut d'ailleurs se comprendre au sortir d'une guerre, mais aujourd'hui, cinquante ans après l'indépendance, l'Etat cherche à confier le film sur l'Emir Abdelkader à un Américain ? N'y a-t-il pas là comme un déni de soi ?
- Le documentaire sur la campagne électorale de Benflis est un document inédit. A-t-il été diffusé par une télévision ?
Non, ce documentaire a été censuré par les télévisions publiques françaises qui l'ont elles-mêmes financé en partie. Le film est en effet inédit. Il y a toujours entre l'Etat français et l'Etat algérien une sorte d'entente sur ce qui ne doit pas déranger. J'aborde avec Le Grand Jeu, le blocage de l'appareil politique à travers la campagne électorale de 2004, celle du candidat Benflis (le QG de Bouteflika avait alors refusé). C'est du cinéma direct sur fond de trucage et de violence autocratique. Mais le film n'est pas un pamphlet, bien au contraire : il montre une Algérie politique actuelle en train de se faire, avec ses difficultés, son apprentissage, ses coups tordus, la présence de l'armée, des islamistes, le jeu avec l'Occident et sa démocratie, les courants idéologiques locaux, la corruption. La vie politique dans toute sa splendeur, en dehors d'un peuple en attente d'une meilleure vie...
- Y a-t-il un lien entre tous les sujets traités ? Quelle est votre démarche d'auteur ?
Il y a certainement une démarche, celle d'abord d'enregistrer le réel contemporain à travers le prisme des institutions. La maison familiale (Des vacances malgré tout), l'hôpital (Aliénations), la politique (Le Grand Jeu), l'école (La Chine est encore loin). Inscrire les choses pour garder une empreinte. Que garde-t-on en images du réel des années Ben Bella, Boumediène et Chadli ? Pas grand-chose... Ne plus laisser ce vide. La société bouge, nous devons, nous cinéastes, aller dans ce sens. Transgresser, réinventer le cinéma, être à l'écoute des gens, de ce qui se dit, ce qui se pense, ce qui se vit dans le réel. Alors, je tente d'enregistrer cette réalité à la fois précise et complexe. C'est une réalité algérienne qui est travaillée par l'histoire et aussi par le monde actuel. D'où l'intérêt de ne pas s'arrêter sur des thèmes mais sur des personnages, sur l'humain, sur les paysages aussi. Mes films, je les souhaite non pas uniquement documentaires, mais comme des moments de cinéma. Un peu comme une maison qui se construit, il y a d'abord le gros oeuvre si je puis dire, puis au fil de la construction, on arrive à affiner cet espace.
- Le gouvernement algérien a promis de libéraliser le secteur audiovisuel. Croyez-vous qu'un jour vos films seront diffusés sur une télévision algérienne, privée ou publique ? Croyez-vous à cette libéralisation ?
Mes films ont été à la disposition de la télévision algérienne et des salles de cinéma depuis qu'ils sont produits. Après, c'est une autre question qui est soulevée, celle, surtout, des personnes qui dirigent les institutions, qui sont emprisonnées dans leurs fonctions et inconsciemment par une idéologie latente. Il y a là une pensée statufiée, muséale... «Il ne faut pas montrer ceci ou cela, le peuple n'est pas encore prêt, il n'est pas encore mature», avec en plus une forme de bureaucratie. Et ces responsables se sont toujours comportés de manière paternaliste avec le peuple qui est en demande, contrairement à ce qui se dit ! Il y a un film à faire, ça serait vraiment intéressant. Je ne suis pas convaincu que l'on aille vers une réelle libéralisation du secteur de l'audiovisuel, il y a trop d'intérêts en jeu, me semble-t-il. Voyez en Tunisie récemment, un seul film diffusé, un dessin animé, Persepolis, a engendré des manifestations de protestation ! Doit-on remplacer une idéologie par une autre ? N'avons-nous pas d'autres alternatives pour faire évoluer notre pensée ?


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