Commençons d'abord par replacer les choses dans leur contexte. Il n'y a aucun pays qui puisse se targuer d'avoir complètement éradiqué ce phénomène. Il a toujours existé à travers les âges et subsiste encore à des degrés divers, partout. Il peut demeurer une donnée sociale marginale. Alors, il ne dérèglerait pas les mécanismes économiques en jeu. Dans les pays qui ne se sont pas suffisamment prémunis contre ce fléau, la corruption domine la vie économique et politique et s'érige en institution suprême de distribution de pouvoirs et de richesses. Il est très aisé d'entrer dans un pareil marasme. Les hauts décideurs peuvent haïr la corruption, la combattre de toutes leurs forces, mais quand le système mis en place la génère comme ultime règle de fonctionnement social, leur marge de manœuvre devient très réduite. La corruption pervertit les esprits, gangrène la société et infiltre si profondément le système que même les plus hautes instances chargées de la combattre commencent à multiplier les exceptions autour d'eux. Dans la plupart des cas, ils finiront par officiellement combattre des comportements qu'ils adoptent eux-mêmes en privé. Ils ne seront plus crédibles aux yeux des citoyens. Le phénomène s'amplifie et devient prédominant. Il transcende le reste des actions, les bonnes intentions, les vœux pieux ou des programmes d'action apparemment crédibles. La société est figée et la dynamique de développement est bloquée. Quand la corruption devient un phénomène de société, la plupart des citoyens adoptent à contrecœur une «stratégie de riposte». Ils vont la haïr. Mais la mort dans l'âme, ils vont s'efforcer d'y répondre d'une manière qui leur semble appropriée. Attitude passive Ainsi, le paysan, l'ouvrier, l'employé et le cadre se diront tout bas, peut-être même inconsciemment : «On ne respecte ni performance ni valeur intrinsèque. Seul l'acte de corruption produit des résultats tangibles. Nous détestons en arriver à corrompre les décideurs, mais nous n'avons pas le choix. C'est ça ou nous n'obtiendrons absolument rien. On ne nous laisse aucune autre option. Nous ne pouvons faire autrement». Et plus de 90% des citoyens adoptent des attitudes de «riposte passive» en corrompant et en acceptant d'être corrompus. L'Algérie avait promu toutes les dispositions qui encouragent la corruption : la distribution de logements de standing moyen gratuitement, les prises en charge médicales par voie de dérogation, l'accès aux hauts postes de responsabilité sans critères prédéterminés, l'octroi de crédits et de marchés publics avec un encadrement procédural défaillant et autres faisait l'objet de corruption, parfois au vu et au su de tous. Il est beaucoup plus facile de laisser ce fléau se répandre que de le combattre. Dès lors qu'il se propage, les personnes se dénombrent en centaines de milliers. Ils ne se connaissent pas tous. Ils savent uniquement consciemment ou inconsciemment que seules des réformes profondes de politique économique les couperaient de leurs sources vitales. Ainsi, ils combattent avec tous les moyens de bord les véritables programmes de rupture. Les scientifiques qui ont étudié le phénomène de la corruption sont étonnés de constater son enracinement profond dans les sociétés. Mais sans nul doute, son arme la plus redoutable demeure les alliances contre nature tissées entre de larges couches de la société. Ainsi, les milieux résolument anticorruption : syndicats, partis de gauche et associations qui refusent la vérité des prix, la révision de la politique du logement en agissant surtout par la subvention des loyers, la mise en place de critères spécifiques pour l'accès aux postes de responsabilité et autres défendent sans le savoir les pratiques qui encouragent la corruption. Bien sûr que leur cadre de référence serait un Etat géré par des personnes crédibles, honnêtes et propres. Mais aucune nation n'est peuplée d'anges. Ainsi, les sciences sociales et la réalité sont en parfaite harmonie : on ne peut combattre la corruption sans éliminer radicalement les causes de son apparition. Quels sont les moyens les plus efficaces utilisés par les nations modernes pour arriver à cette fin ? Nous allons en présenter les dispositifs de protection les plus efficaces. Le moyen le plus sûr de réduire drastiquement la corruption dans une nation consiste à laisser le marché distribuer au prix d'équilibre les biens et les services échangés. Ce système ne contient pas uniquement des bienfaits. L'état pourrait intervenir afin d'aider les citoyens en bas de l'échelle à couvrir un minimum de leurs besoins. Mais les actions doivent renforcer le marché et non l'éliminer. Il y a eu très peu de pots-de-vin pour les marchés de sel, d'or et les autres produits pour lesquels l'état intervient très peu. Mais l'objection égalitariste est toujours brandie pour défendre le statu quo. Il n'y a pas de contradiction entre éliminer la corruption et réduire les inégalités. Notons simplement que les biens et les services distribués administrativement n'arrivent à leurs destinataires, réellement nécessiteux, qu'à concurrence de 10 à 20 % environ. Ce qui signifie que pour chaque logement distribué à un nécessiteux 8 ou 9 sont cédés gratuitement à des personnes capables de se les procurer sur le marché. Mais c'est toujours au nom des pauvres qu'un pareil système est perpétué. Par exemple, il est possible de construire des logements décents, bas de gamme (au coût de 1000 000 DA l'unité) et payer les loyers à la place des personnes nécessiteuses. On élimine les faux cas sociaux et les spéculateurs. On peut construire 4 fois plus de logements. On fait d'une pierre deux coups : éliminer la corruption et résorber le problème du logement. Mais on préfère persister dans l'erreur que d'admettre qu'on s'est trompé de politique sectorielle. Il est quasiment impossible d'éliminer la corruption si nous empêchions le marché de réguler les échanges entre les citoyens. A la limite, nous pourrions subventionner directement quelques produits de base, mais la distribution administrative débouche toujours sur la corruption et personne n'y peut rien contre. Après le marché, la seconde mesure qui peut minimiser la corruption demeure la transparence. Aussi longtemps que les critères d'accès à un privilège ne sont pas déterminés avec précision, la corruption et le favoritisme résigneront en maître absolu. Prenons l'exemple du processus de nomination des managers et des hauts cadres de l'Etat. Aucun gouvernement n'a eu le courage de fixer un minimum de critères, même insuffisants au départ, mais susceptibles d'être améliorés par la suite, d'accès à ces emplois. Il n'est que normal qu'un immense trafic d'influence surgisse dans ces milieux. Donner un pouvoir discrétionnaire très important à une administration (décision d'investissement,) sans critères de transparence, règles vérifiables et audits fréquents et vous alimenteriez allègrement le processus de corruption. Accès à l'information Le troisième et dernier élément de lutte contre la corruption est l'accès à l'information par le plus grand nombre possible d'acteurs (presse, ONG, chercheurs, syndicats, partis politiques, etc.). Certes, il faut protéger des informations confidentielles (défense nationale, enquêtes, etc.). Afin de minimiser la corruption, nous avons non seulement besoin de procédures claires et sans cesse améliorées par des experts, mais également d'une garantie d'accès à l'information pour le plus grand nombre. Ceci implique qu'il faille mobiliser le maximum de citoyens et d'ONG pour lutter contre le phénomène. Ils doivent se sentir partie prenante et saisir des associations spécialisées qui auront le droit de se constituer partie prenante. L'utilisation maximale des règles de marché, des critères précis de nomination de responsables, l'accès à l'information et l'implication des citoyens et des ONG spécialisées minimiseront, mais n'élimineront pas la corruption. Un système répressif très décourageant est aussi nécessaire. La communication et le système éducatif ont également un rôle important à jouer dans ce domaine. En minimisant les attributions bureaucratiques et en mobilisant toute l'intelligence de nos citoyens, nous aurons des milliers d'autres propositions de qualité pour laminer le phénomène. Mais en attendant, il n'y a pas lieu de s'étonner que le phénomène sévit et acquiert un statut de normalité dans un pays où la tradition «arabo-musulmane» condamne et abhorre ce mal. Les mécanismes de son éradication sont inexistants. Les processus de son enracinement et de son épanouissement sont toujours en vigueur. Si ce que nous connaissons scientifiquement sur le phénomène est vrai, et il n'y a aucune raison pour qu'il ne le soit pas, la corruption a encore de très belles années devant elle en Algérie.