L'«alliance verte» – composée des partis islamistes Mouvement de la société pour la paix (MSP), Ennahda et El Islah – qui vient de voir le jour a pris de court la classe politique représentant les autres courants et sensibilités existant sur la scène nationale. Pour des raisons tactiques, pour mieux faire passer la pilule au sein de l'opinion nationale, mais aussi à l'extérieur au moment où l'islam politique fait débat dans les pays de la région qui se sont essayés à ce système de gouvernance, on a préféré le nom d'emprunt au nom patronymique d'islamistes. Parce que cela passe mieux dans les esprits aujourd'hui ; ce courant étant associé dans la conscience populaire à la tragédie qu'a vécue notre pays au cours de ces deux dernières décennies. La constitution de ce pôle islamiste à la veille des élections législatives traduit clairement une volonté des islamistes du MSP, qui constitue la force la mieux structurée de ce courant, de fédérer les partis islamistes dans une espèce d'union sacrée qui se poserait comme alternative par rapport aux forces politiques traditionnelles, dominées par les deux partis-béquilles du pouvoir : le FLN et le RND. Aux côtés de ces deux formations, le MSP a fait, par opportunisme politique, un bout de chemin avant de quitter la table à la première sensation de pouvoir voler de ses propres ailes. Mais dans son empressement à vouloir forcer le destin, le MSP a pris le risque – calculé ? – de division et de s'éloigner davantage encore des autres formations de cette mouvance : le nouveau parti le Front national de l'ancien ministre de l'Industrie, Abdelmadjid Menasra, qui peut récupérer tous les déçus comme lui du MSP ou encore le nouveau parti de Abdallah Djaballah qui a montré ses capacités de mobilisation dans ce camp. Deux partis qui peuvent jouer le rôle de trouble-fête par rapport à cette «alliance verte» qu'ils ont refusé d'intégrer. Quelle que soit la force de cette coalition et sa capacité à se frayer une place dans la nouvelle recomposition de la carte politique en gestation, il reste que les islamistes, ou une faction d'entre eux du moins, ont réussi le pari, dans un paysage politique rétif aux regroupements, de mettre en place une alliance qui se veut de l'opposition, contrairement à l'Alliance présidentielle qui, comme son nom l'indique, est une coalition du pouvoir. D'ailleurs, cette dernière a-t-elle encore un sens, aujourd'hui, après le retrait du MSP de l'Alliance présidentielle et l'engagement pris par le président Bouteflika de garantir la tenue d'un scrutin régulier ? Les deux autres partis de cette coalition, le FLN et le RND, qui se vouent aux gémonies en privé, sont aujourd'hui habités par un doute pesant à l'idée de ne plus être adoubés comme par le passé par le pouvoir. Privées du parapluie du pouvoir, ces deux formations devraient gagner leurs galons à la force du poignet. L'Alliance présidentielle est de facto caduque. Si le pouvoir tient ses promesses de ne plus interférer dans le jeu électoral, le FLN et le RND seront les plus grands perdants de cette redistribution des cartes politiques. Ils doivent désormais prouver par eux-mêmes qu'ils ont une assise populaire, qu'ils incarnent la majorité comme ils ne cessent de le proclamer. Mais tout cela n'est que supputations politiques. Pour le moment, il ne s'agit que de discours et de promesses de réformes qui ne doivent être pris que comme tels. Les mêmes engagements d'ouverture et de démocratisation de la vie politique avaient été pris par le passé par le pouvoir. On sait ce qu'il en est advenu. L'union faisant la force, les islamistes rassemblés au sein de l'«alliance verte» semblent convaincus de la nécessité de se fondre dans une dynamique de groupe pour pouvoir avancer. Beaucoup pensaient en toute logique que cette initiative des islamistes allait créer un effet d'entraînement auprès des autres courants, notamment celui des démocrates, pour s'organiser, eux aussi, en front républicain et démocratique. Les multiples tentatives enregistrées par le passé se sont toutes brisées contre la tentation de leadership et les manœuvres du pouvoir de faire avorter le projet, car contrariant ses plans et ses choix stratégiques portés sur les partis de l'Alliance présidentielle. Où sont les démocrates ? Où est la société civile imprégnée des valeurs républicaines et de modernité dont la mobilisation, qui avait forcé l'admiration et le respect du monde entier, avait permis d'éviter une afghanisation de l'Algérie ? Pourquoi les démocrates ne mettraient-ils pas de côté leurs ambitions personnelles et leur ego pour unir leurs forces, eux aussi, afin de pouvoir peser dans la bataille électorale ? Dans une lecture, les islamistes tentent insidieusement de faire croire que leur heure a sonné pour gouverner. Il y a comme une espèce de résignation collective dans le camp des démocrates qui semblent assister en spectateurs, avec l'âme de vaincus, aux événements que s'apprête à vivre l'Algérie. Dans cette conjoncture des plus floues, où personne ne pourrait prédire où va l'Algérie, de nombreux démocrates – ou qui s'en réclament – n'ont pas hésité à se repositionner qui en s'imposant un silence complice, qui en gommant de leurs discours les attaques frontales contre les islamistes pour ne pas insulter l'avenir.