La dramaturgie algérienne considère toujours que «le sujet» de la femme dans la société n'est pas passé de mode… Zaïkha est une sage-femme dans un centre sanitaire quelque part en Algérie. Chaque jour, elle aide les femmes à accoucher. Une véritable usine ! C'est du moins ce que laisse supposer le texte de Laâmri Kaouane, joué par Zaïkha Berrah, sur une mise en scène de Tounès Aït Ali. Le monodrame a été présenté samedi à l'espace Mille et une News du quotidien Algérie News à Alger. La sage-femme prend tout son temps avant de répondre à l'appel de la future mère. «Ferme ta gueule !», lance-t-elle avec méchanceté. Dans les hôpitaux publics algériens, pareils propos sont souvent entendus par des femmes qui viennent accoucher. Des femmes qui, sans avoir d'autre choix, sont parfois obligées de partager le même lit ! Zaïkha se réjouit presque qu'une des patientes enfante de filles. «Si ton mari va te divorcer, tu l'auras voulu !», rage-t-elle avec un malin plaisir. Les pères qui n'aiment pas avoir des filles, cela existe-t-il encore en Algérie, en 2012 ? Il y a des doutes. Zaïkha, qui aide des bébés à venir au bas monde, veut vivre, trouver un homme, se marier, avoir des enfants elle aussi… Cette quête devient obsessionnelle. Elle finit par trouver «une petite solution», un chauffeur de taxi qui se dit prêt à se séparer de son épouse parce qu'elle a accouché d'une fille. On est presque dans un cercle : la crise de la femme qui cherche «une protection», celle qui a peur de se trouver sur le bas côté de la société, celle qui croit que vivre, libre et heureuse, signifie donner un coup de pied à un système de valeurs construit autour de l'hypocrisie. D'un one-man-show, Zaïkha a évolué en monodrame. Il y a de la difficulté à trouver de l'humour dans ce spectacle, mais il y aussi de l'agacement tant on a l'impression qu'on assiste à du déjà-vu, entendu et vécu. Combien de fois la situation de la femme en Algérie a-t-elle fait l'objet de pièces de théâtre, de films ou de documentaires ? Certains diront que ce n'est jamais assez dans un pays qui tourne en rond. Sauf qu'il faut aller au-delà des barrières du jardin, explorer d'autres terres, ouvrir les fenêtres sur d'autres cieux et éviter le piège de la caricature facile. Originaire de Tébessa, Zaïkha Berrah a joué avec cœur, prenant tout le poids du spectacle sur les épaules. Sur le plan dramatique, il y a encore du travail à faire, notamment sur les expressions du visage, la scénographie. Le choix musical est aussi à revoir pour éviter l'ennui et le redondant. «La femme d'aujourd'hui est libre. Elle travaille. Mais, elle a toujours besoin d'un homme à ses côtés. Il faut faire ressortir ce problème», a justifié Tounès Aït Ali, lors du débat qui a suivi la présentation de la pièce. Elle a souligné que Laâamri Kaouane a toujours évoqué la femme dans ses pièces Zwadji Academy, Warda, etc. «Zaïkha vient de Tébessa, région où il n'est pas facile pour une femme de faire du théâtre. Elle porte un message en elle-même. Si dans sa vie de tous les jours une comédienne mène un combat, elle ne peut que réussir sur scène. Aujourd'hui, l'homme cherche l'idéal. La femme engagée, qui travaille, ne fait pas vraiment l'affaire. Il a peur de cette femme qui défend ses idées !», a-t-elle plaidé. Pour elle, le sujet n'est pas démodé. «Il faut aller en-dehors d'Alger, des grandes villes, voir la situation de la femme. A l'intérieur du pays, j'ai rencontré des femmes qui souffrent réellement. Elles ne peuvent pas sortir ou faire ce qu'elles veulent. Le petit frère continue à imposer la loi à la petite sœur», a souligné Tounès Aït Ali. Présent dans la salle, le musicologue Noureddine Saoudi a remarqué que souvent pour la femme — parfois pour l'homme — le niveau intellectuel élevé est accompagné d'aridité affective. «Chez nous, le mâle représente toujours la protection. Nous sommes à une étape où la société est en effervescence. Mais nous ne savons pas où elle va. Il y a tellement de sons de cloches !», a-t-il dit. Le dramaturge et journaliste Hmida Layachi a relevé, de son côté, que l'espace public est de plus en plus réduit pour la femme en Algérie. «Dans les villes, cet espace est interdit à la femme après 18 heures», a-t-il dit. Selon lui, les lieux de loisir sont actuellement «colonisés» par les nouveaux riches, les hauts cadres de l'administration et des jeunes filles forcées de vendre leur corps. Laâmari Kaouane a estimé, pour sa part, que les comédiennes affrontent à chaque fois des défis pour faire des tournées à travers le pays. «Même dans le domaine artistique, il y a des discrimination. Certains ont toujours tendance à mépriser la mise en scène théâtrale faite par des femmes. Il y a toujours des complexes. Dans Zaïkha, je voulais évoquer une certaine souffrance des femmes. A-t-on pensé un jour à une sage-femme qui n'a pas d'enfant ?», s'est-il interrogé.