Dans ce monde marqué par la globalisation et l'internet, sommes-nous des citoyens ou des sujets ? Existe-t-il un théâtre citoyen ? Telles sont entre autres questions abordées par les différents intervenants, hier, lors des journées théâtrales d'Alger, qui se poursuivent au complexe Laâdi Flici (Alger). Dans sa communication, l'auteur et metteur en scène Jean-Yves Picq constate qu'avec la globalisation, « la fin des idéologies » ou « la fin de l'histoire », c'est le « tout puisant économique qui s'est installé et s'est hissé au rang d'une sorte de métaphysique universelle ». Ainsi, la planète est considérée comme « un bassin de marchandise, pour finir elle-même comme une marchandise... Et le destin de l'homme moderne d'être l'heureux consommateur privilégié de cette marchandise. Toute reconnaissance d'une autre dimension humaine devient suspecte ». Ainsi, « notre époque semble presque jumelle de celle de la Renaissance. Hier, un pouvoir théocratique ignare, monstrueusement inculte ». Et aujourd'hui, « un pouvoir économique aussi ignare, tout aussi monstrueusement inculte et tout aussi arc-bouté à son exploitation frauduleuse du monde, alors que tous les indicateurs sociaux, économiques, culturels et écologiques sont au rouge ». L'acte artistique dans une telle situation est devenu « consensuel ». Or, poursuit le même intervenant, il est, par sa nature, « une remise en cause radicale et permanente de tout effet de réalité, il la démasque ». Le « retard » qu'accuse le théâtre réside dans le fait qu'il ne remet pas en cause « ce qu'on veut nous faire prendre pour la réalité. Nous allons payer cher, en France par exemple, la politique consensuelle qu'avait suivie depuis vingt ans le théâtre public, installant sur nos scènes un rôle de silence, prudent d'abord, sur ce qui se passait dans le monde ». Un silence devenu « désormais coupable ». Dans sa communication, intitulée « Théâtre, éducation, citoyenneté », la pédagogue et animatrice des ateliers de pratique théâtrale, Mme Christiane Page (France) dira que le théâtre a souvent été sujet d'expérience. A titre d'exemple, dans les années 1920 en France, il a connu « celle de l'éducation nouvelle, mouvement dans la mouvance de l'éducation populaire visant l'émancipation de la personne ». Et celle de Chancerel « œuvrant à son endoctrinement, car l'objectif de Chancerel était de faire adhérer l'individu à ordre social nouveau et totalitaire ». Evoquant son expérience dans les ateliers de pratique théâtrale, elle indique que son rôle consiste « non seulement à rendre accessible un savoir théâtral ou général, mais aussi à aider les élèves, les jeunes à apprendre à penser, à développer leur esprit critique et à remettre en question leurs connaissances acquises, car la construction des savoirs est intimement liée à un questionnement sur soi, sur les autres et sur le monde ». Intervenant sur « Le théâtre dans l'éducation de la citoyenneté », Slimane Benaïssa a parlé de son expérience théâtrale dans l'exil, en France, après l'exil intérieur. Pour le dramaturge, il est nécessaire de « convoquer l'histoire et de l'interroger publiquement » et le théâtre peut assumer ce rôle. En Algérie, il y a la crise, car « il n'y a pas d'équilibre entre la mémoire et la religion. Les religieux exaltés pensent que la meilleure manière de servir Dieu est d'être soldat ». Face à cette situation, il ne reste à l'homme de culture que de quitter le pays. Dans le passé, rappelle-t-il, il fallait peut-être axer la pratique théâtrale sur l'individu. Or, « personnellement, j'ai présenté des personnages qui représentent des collectivités ». Dans sa communication sur « L'homme de théâtre au cœur de la cité et de la citoyenneté », le metteur en scène Ziane Cherif Ayad estime que, malgré la censure et l'inexistence de la liberté dans le passé, les artistes ont pu briser les carcans du silence et de l'arbitraire pour faire des pièces qui vont à contre-courant des conventions établies. Ce qui prouve que le théâtre « est au cœur de la cité ». Il relève qu'on ne construit pas un théâtre par décret. De son côté, Olivier Neveux, universitaire (France), a abordé la question du « théâtre militant ». Il voit que la notion de « citoyen » est biaisée. Et à son origine, elle est entachée d'exclusion et de clivage. Les politiciens donnent à la citoyenneté une dimension universelle pour cacher cette même exclusion qui la caractérise. Ainsi, au « théâtre citoyen », il faut opposer et imposer un « théâtre d'émancipation » et « critique ». La dramaturgie française a perdu ce genre de théâtre de par la « gangrène » idéologique qui ronge « notre vie quotidienne. Ainsi, il faut s'organiser collectivement pour réhabiliter le théâtre critique ».