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Un San Antonio algérien
Polar. «L'ETRANGLEUR D'ALGER» De Azdine
Publié dans El Watan le 31 - 03 - 2012

Un nouveau roman policier sur les étals de nos librairies
Le roman policier a eu quelques faveurs des écrivains algériens. Yasmina Khadra fait figure de précurseur avec les aventures du commissaire Llob, son premier pseudonyme aux défuntes éditions Laphomic. Et quand l'écrivain passa à son second et actuel pseudonyme, c'est encore avec des enquêtes policières qu'il débuta, recyclant son personnage fétiche.
Depuis, la veine du polar a été poursuivie par d'autres auteurs algériens. On peut citer notamment Mohammed Balhi avec La Mort de l'entomologiste (2007) ou encore Adlène Meddi avec Le Casse-tête turc (2002) La Prière du Maure (2008), tous édités aux éditions Barzakh. Et voilà que nous vient des éditions Apic, un roman intitulé L'Etrangleur d'Alger et signé d'un certain Azdine, qui inaugure la collection Noir Apic. Pas besoin d'enquêter sur l'auteur puisqu'à la différence de Yasmina Khadra (alias le commissaire Llob), la quatrième de couverture évente le pseudonyme en expliquant que Azdine se nomme en fait Aomar Derradji (mais peut-être encore un pseudonyme ?). Né à Alger en 1946, il a glané «entre autres» plusieurs diplômes universitaires en journalisme et littérature comparée. Il vit et travaille en France et L'Etrangleur d'Alger est son premier roman.
On peut souligner un point commun avec Yasmina Khadra. Les deux auteurs – Llob et Azdine – intègrent dans leurs textes leurs références littéraires policières. On y sent, presqu'à l'évidence, les lectures des classiques (Conan Doyle, Gaston Leroux…), des auteurs américains (Chester Himes, James Hadley Chase, David Goodis…) et français, avec une prédilection évidente pour Frédéric Dard, alias San-Antonio, innovateur linguistique émérite. En cela, ils se distinguent de Mohamed Balhi et Adlène Meddi.
Entendons-nous : dans un cas comme dans l'autre, le fait policier est pur prétexte et sert essentiellement de fil conducteur à l'introspection psychologique ou à l'inspection politico-culturelle. Mais, c'est dans la démarche d'écriture (car les styles individuels varient heureusement) que cette distinction opère. On serait ainsi plus polar chez les premiers et plus littéraires chez les seconds, encore que le polar soit une véritable littérature. Pour autant, il n'y a pas lieu de suspecter une différence générationnelle puisque Azdine est né en 1946, Balhi en 1951, Khadra en 1955 et Meddi en 1975, des années qui ne recoupent pas la distinction soulignée plus haut.
Ces hypothèses avancées, L'Etrangleur d'Alger apparaît en tout cas fortement influencé par ses références et notamment celles du commissaire San-Antonio.
Le commissaire Ben, héros et narrateur du roman, ressemble fortement à son modèle. Son attirance pour les femmes s'accompagne aussi d'un narcissisme gentiment machiste comme en atteste, parmi d'autres, ce passage au début du roman : «Je remercie Dieu et mes parents de m'avoir donné le look que j'ai. Une gueule d'acteur de cinéma, entre Sean Connery et Marcello Mastroianni». La phrase se termine par un astérisque signalant un renvoi en bas de page (typique des romans de San A.), où l'on peut lire : «Je sais, les mauvaises langues vont encore gloser autour de tout ça. Ils auraient voulu que je choisisse entre Rouiched et Touri». Ce superflic, beau et célibataire, dur mais sensible, se devait d'avoir un compagnon et Azdine lui a créé son Bérurier, presqu'à l'identique de celui de San Antonio. Marié et père d'une ribambelle de gosses, énorme, fidèle et brave, son adjoint, avec «un éternel globo dans la bouche», se nomme Hamma Deb.
Le commissaire l'appelle Godzila, le Poussah, le Big, Darasing, le Hercule des films hindous, et, quand il veut lui faire plaisir, H'mimed. Au fond, le commissaire Ben éprouve une immense affection pour son adjoint : «Cela fera bientôt dix ans que nous travaillons ensemble. Il a quelque part remplacé le frère que j'ai perdu».
Alors qu'ils ont été envoyés auprès de la femme d'un ministre pour enregistrer une grave plainte et apprendre qu'elle a perdu son chien – «un p'tit kinois» selon elle –, ils sont appelés par leur patron, toutes affaires cessantes, pour un meurtre à Tizi Ouzou. Travaillant à la «crim'» d'Alger, ils ne comprennent pas cette mission hors-circonscription. Mais la victime est la nièce du wali et son père est ami du ministre de l'Intérieur. Agée de vingt ans, étudiante en Lettres, elle a été retrouvée étranglée dans les toilettes de l'Université. Aussitôt, Ben et H'mimed se mettent à la recherche du meurtrier qui, bien sûr, ne sera pas celui que l'on croit. Mais nous n'allons pas vider le suspense du roman. D'ailleurs, est-ce bien l'enquête qui compte ici ?
L'auteur s'attache surtout à nous faire partager la vision du narrateur sur la société algérienne et ses travers. On y croise la soif du pouvoir, le ridicule de l'arrivisme, l'hypocrisie faussement morale, la perte des repères, le désarroi des jeunes, etc. L'écriture se déroule sur deux niveaux : en caractères droits pour les faits, actions et dialogues ; en italiques pour des apostrophes à l'adresse du lecteur auquel le narrateur parle directement, un peu à la manière de Stanislas-André Steeman, grand maître du genre, auteur du célèbre L'Assassin habite au 21. Il est dommage que ces «dialogues» avec le lecteur deviennent plus rares à mesure qu'on avance dans le roman, car ils apportent une proximité intéressante, de l'interactivité pour parler moderne.
Les réflexions marginales de Ben créent des ouvertures sur l'histoire et la culture. On y croise des personnages aussi différents que le dramaturge et militant Mohamed Boudia, l'ancien billettiste du journal Le Monde, Robert Escarpit. On y lit des vers de la mystique soufie du VIIIe siècle, Rabea Al Aâdwaniya, comme un extrait de la lettre d'Ahmed Zabana avant son exécution. On y parcourt les lieux diurnes et nocturnes d'Alger. Ce foisonnement vivant donne du rythme au texte malgré de nombreuses erreurs historiques (Sophonisbe, épouse de Massinissa… !) ou autres. On regrette les surdoses d'argot parisien dans certains dialogues, les jeux de mots faciles, les symboles avec explications superflues. Si L'Etrangleur d'Alger tord le cou à bien des préjugés, il multiplie parfois inutilement ou maladroitement les audaces. Il se lit cependant avec plaisir et on se surprend à attendre le prochain en l'espérant mieux maîtrisé. Après tout, le premier San Antonio était loin de valoir d'emblée ce que son auteur en a fait par la suite.
Azdine, «L'Etrangleur d'Alger». Ed. Apic, Alger, 2011. 184 p.


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