Deux scénarios. L'un populaire. Ils courent les rues depuis le début des années 2000. Orascom Telecom est un lien d'affaires de la famille présidentielle. Pistonné pour remporter la seconde licence GSM. Aidé par les banques publiques pour déployer son réseau en Algérie. Protégé de la concurrence avec la mise à bas d'Algérie Télécom. Ce scénario ne repose sur rien. Tout en principe le dément. La licence a été mise aux enchères et OTH a été le plus offrant de plus de 300 millions de dollars. Les Sawiris ont bien profité du code des investissements algérien. Dans et en dehors des télécoms. Surtout survient la crise de 2008. Le président Bouteflika jure la tête de Djezzy. Le scénario de la connivence d'affaires a du mal à tenir la route. Sauf à dire que les comparses se sont déchirés sur leurs rémunérations. Les Sawiris ont cédé à Lafarge, à la Bourse du Caire, leur branche matériaux de construction sans prévenir Alger. Conséquence : la grande enseigne française entre en Algérie avec un portefeuille de deux usines retrouvées dans le panier d'Orascom Construction. L'exégèse malveillante affirme que la famille Sawiris a oublié de partager la plus-value réalisée. Avec qui ? Le gouvernement algérien ou le réseau privé qui décident de sa politique patrimoniale ? Plus le scénario «populaire» de la connivence est persistant, plus le président Bouteflika ajoute des couches pour se montrer impitoyable avec OTH. Redressement fiscal record sur le continent africain, interdiction de domiciliations bancaires pour l'importation des équipements de développement de réseau, fermeture de la télévision à la communication publicitaire de Djezzy. Personne ne pourrait pouvoir redire après un tel déploiement anti-OTA, que la famille présidentielle a des intérêts avec OTH. C'est ici qu'intervient l'autre scénario. Celui des experts. Moins grandiloquent. Plus désespérant. Celui non pas de la connivence, mais de l'incompétence. Le gouvernement a cédé la seconde licence GSM, en 2002, lors de son accès ultra libéral. Tout à l'IDE. Un consultant proche de la transaction a rapporté que Naguib Sawiris souhaitait être accompagné par un acteur algérien – public ou privé – d'importance dans le tour de table de son opération en Algérie. Bouteflika, conseillé par Hamid Temmar, a refusé. Pensant sans doute transférer la totalité du risque opérationnel vers l'investisseur étranger. Le réveil a été sonné non pas vraiment par la belle opération financière de novembre 2008 réalisée par les Sawiris avec leur branche matériaux de construction, mais un peu avant, par le rapport de la Banque d'Algérie sur les rapatriements de dividendes réalisés en 2007 par les entreprises étrangères. OTA en détenait largement la tête. Le président Bouteflika était en plus entré dans l'autre phase de son humeur économique. Celle du retour au tout Etat. Rendu possible par la remontée du cours du brut à partir de 2005, année de la dernière frivolité ultra-libérale, l'octroi du régime de la concession aux compagnies étrangères sur le domaine minier pétro-gazier algérien. Les golden-boys bouteflikien Temmar-Benachenhou-Khelil, en perte de vitesse dans l'exécutif avec l'accumulation des «affaires», il n'est resté dans le pilotage du dossier Djezzy que la hargne obsessionnelle du président de la République. Tout aussi peut éclairée en 2009-2012 qu'elle ne l'a été en 2002-2005. Le gouvernement en arrive donc en avril 2012 à envisager d'acheter 51% des parts de OTA sur la base d'une évaluation de ces 51% à hauteur de 6,5 milliards de dollars. La sémiologie de cette trajectoire penche donc à nouveau vers le scénario populaire. La boucle peut se refermer ainsi. Et si tout cela n'était qu'un montage pour donner beaucoup d'argent aux actionnaires de Vimpelcom-Orascom ? C'est-à-dire finalement au clan Sawiris. Le café du commerce a le souffle long. Et cette fois, il est difficile de le combattre avec l'approche froide des experts. Difficile mais pas impossible. Ainsi la lecture cocasse d'un observateur averti : «Le pouvoir algérien se conduit comme un propriétaire d'immeubles de bureaux qui a une immense réserve foncière, mais qui n'arrive pas à la fructifier. Il se rend compte qu'il l'a loué à un revendeur de câbles qui finalement gagne beaucoup d'argent. Beaucoup plus que ce qu'il pensait au début en lui fixant le loyer. Le propriétaire du parc d'immeubles d'affaires en crise détient lui aussi une boutique dans le même métier des câbles. Elle est prioritaire sur tous les sites, mais perd de l'argent. Alors que fait-il ? » Il fait l'affaire Djezzy. Le propriétaire des bureaux est en plus sous l'influence de son chef de la sécurité. Qui n'aime pas voir lui échapper une partie du flux d'informations qui circule dans le quartier à cause de cette boutique de câbles. L'Algérie va peut- être payer 6,5 milliards de dollars pour renationaliser les écoutes téléphoniques.