Les promesses de la Révolution ont-elles été tenues ?» Bilan ardu qu'a tenté de dresser, samedi, Sid Ahmed Ghozali, ancien chef du gouvernement, au cours du colloque Marianne/El Khabar, qui s'est déroulé à Marseille. «La guerre d'Algérie n'était pas uniquement une lutte pour le recouvrement de l'indépendance. La déclaration de Novembre 1954 était également porteuse d'un réel projet de société, des grandes lignes pour la création d'une réelle République démocratique», rappelle M. Ghozali. Seulement, 50 ans après, c'est un constat mi-figue, mi-raisin qu'il y a lieu de dresser. «L'Algérie d'aujourd'hui ne correspond pas du tout aux rêves que l'on s'était fait, à ce qu'on avait imaginé», déplore-t-il. Selon lui, la Révolution a été confisquée. «La lutte pour la liberté s'est muée en lutte pour le pouvoir. Avant même l'indépendance, l'Algérie connaissait des affrontements internes et à la naissance du pays, libéré en 1962, a déjà été fomenté un coup d'Etat, avec l'éviction du GPRA. Ce qui a débouché sur une crise de légitimité du pouvoir au sommet, problème non résolu jusqu'à présent», explique M. Ghozali. Ce dernier est d'ailleurs critique envers les dirigeants actuels. «Ce que je reproche au gouvernement d'aujourd'hui, c'est qu'il n'a jamais cherché à tirer les leçons des fautes commises», accuse-t-il. Exemple ? Les événements d'octobre 88. «Pour calmer le peuple, l'on a modifié la Constitution, avec une ouverture et des promesses de démocratisation. Seulement, l'on constate, 20 ans plus tard, et pour calmer les tumultes suscités par le printemps arabe, l'on promet exactement la même chose avec des modifications des textes fondamentaux et une nouvelle promesse de démocratie et de libéralisation», argue-t-il. Et le plus gros problème vécu par le pays est cette difficulté «énorme» à bâtir un réel Etat de droit. «Il y a un refus de moderniser des institutions ankylosées par l'archaïsme. Le régime en place estime que diriger un pays se cantonne à donner des ordres, à brimer. De même, l'on a banni la culture de l'Etat de droit. Mais pis, une véritable politique de la non-responsabiliité et de la non-comptabilité s'est instaurée, avec des dirigeants qui estiment qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne pour leurs actes et leur gestion», énumère l'homme au nœud papillon. Et ce n'est pas tout. Car, selon l'ancien chef du gouvernement, à la tête d'un parti non agréé, le régime a tendance à traiter la société civile et la société militaire de la même manière. «Au terme d'un continuel processus de confiscation de la volonté populaire, les citoyens ont été mis sous tutelle, et doivent obéir au doigt et à l'œil», juge-t-il. «échec sur échec» Et l'échec est aussi économique. «Le pays vit sur des richesses qu'il ne crée pas. Et les différentes politiques n'ont pas permis à la société de créer une réelle base de production viable», déplore-t-il. Pourtant, tous les facteurs existent, humainement, techniquement, financièrement, etc. «Les Algériens ont tous les ingrédients pour bâtir un pays prospère et être un peuple heureux. Seulement, pour ce faire, il faudrait que le pouvoir ne méprise pas les populations de la sorte. De même, il faut des institutions modernes qui respectent les lois et le droit, et qui soient comptables devant le peuple de leurs agissements», poursuit-il. Toutefois, la situation n'est pas aussi manichéenne. «Mon exposé est humble. Tout n'est pas noir ou blanc. Car, il est faux de dire que la Révolution a échoué», tempère-t-il. «Un rapatrié m'a une fois demandé : ‘‘Qu'avez-vous fait de l'Algérie que l'on vous a laissée''. Je lui ai répondu : ‘‘Mais qu'avez-vous laissé ?''», relate M. Ghozali. «Le pétrole était là bien avant la colonisation. En 1962, il n'y avait que 500 étudiants ‘‘musulmans'' et près de 300 000 enfants scolarisés. En 50 ans, l'Algérie a construit dix fois plus de barrages que la France coloniale en 130 ans de présence», souligne-t-il. D'autant plus que plus d'un siècle de politique ségrégationniste a eu pour effet de laminer de fond en comble une société, élite et peuple. «La colonisation n'explique pas tout» «Le Maroc, la Tunisie et l'Algérie sont un seul peuple, séparé par des frontières politiques. Aujourd'hui, l'on se rend compte que 80% des différences entre eux sont dus aux parcours coloniaux», analyse-t-il. «Mais il ne s'agit évidemment pas de dire que les échecs actuels sont de la faute à la colonisation», objecte-t-il. Ce sont donc deux siècles d'histoire tourmentée, de 1830 à ce jour, qui ont porté leurs fruits, amers pour certains. «La corruption est ‘‘spécifique' ‘et systémique, c'est une corruption du tissu social, qui touche tous les niveaux. Et quiconque est détenteur d'un pouvoir, même minime, en fera usage au détriment des autres», insiste-t-il. «Moi qui ai les privilèges que j'ai, j'estime perdre trop de temps dans les formalités, actes et autres obligations du quotidien. Alors qu'en est-il du citoyen lambda, qui doit faire face tous les jours à un maquis administratif et bureaucratique insurmontable ?», s'interroge M. Ghozali. «Ce n'est pas que le gouvernement ne serve pas le peuple, c'est qu'il le sert mal. Comme si tout était fait pour rendre la vie et le quotidien du citoyen impossibles», conclut, dépité, l'ancien chef du gouvernement.