Qui l'aurait cru ! Des scènes dignes des cow-boys du Far West se produisent au quotidien à Blida. A la différence, le grincement de sabres et des serre-joints sciés a remplacé le cliquetis assourdissants des armes à feu. Cela se passe au centre-ville et à la périphérie de Blida où l'on assiste, de plus en plus depuis quelques années, à des scènes de violence impliquant des jeunes munis de sabres. L'agresseur est ou sous l'effet des drogues ou en manque, ce qui le pousse à recourir à la violence pour collecter des fonds pour se procurer des psychotropes quelles qu'en soient les conséquences. Ainsi, le sentiment de vide et d'insécurité règne chez le citoyen lambda qui appréhende tous les périls tant les moyens de coercition ne sont, de consensus collectif, plus adaptés à ces nouvelles formes de violence qui tendent à prendre de l'ampleur. «Comment expliquer que des criminels puissent circuler en toute quiétude, des sabres à la main ! Comment la vente et la consommation des différentes drogues ont-elles pris des dimensions aussi incommensurables ?» affirme un quinquagénaire de Blida, les nerfs. Pour Amara Cheikh, sociologue-criminologue à l'université de Blida, c'est surtout à partir des années 2000 qu'a commencé la prolifération inquiétante de groupes de jeunes utilisant des objets tranchants, dont des sabres, contre les citadins pour leur extorquer de l'argent, un téléphone portable ou autres babioles de valeur. «La télévision et les jeux vidéos comportant des scènes de violence, la décennie noire et les conditions socio-économiques sont les principales causes de ce grave phénomène.» Les exemples sont légion Dernièrement, sous les yeux hagards des clients, des jeunes encagoulés, munis de sabres, ont, en deux temps trois mouvements, subtilisé la caisse d'un restaurateur très connu à Ouled Yaïch après l'avoir blessé en divers endroits du corps. Cette scène inouïe s'est déroulée en plein jour, à une centaine de mètres d'un commissariat de police. Egalement à Ouled Yaïch, des jeunes malfrats imposent leur loi à la cité Maillot. Munis de sabres, ils se permettent de racketter «tranquillement» les commerçants du quartier. Des batailles rangées entre gangs bien connus soit par leurs noms de famille ou par des pseudos, se disputant un espace d'autorité ou tout autre privilège, sont signalées aux quatre coins de la wilaya au moment où le citoyen assiste, impuissant, à des scènes de hurlements, d'insultes et surtout de menaces… A la cité Zinc, à la périphérie de Blida, devenue le fief des trafiquants de haschich et de cannabis traité, plusieurs actes d'agression sur des filles et des personnes âgées ont été enregistrés entre fin 2011 et le début de l'année en cours. Rien que pour l'exemple, un septuagénaire se rendant à la mosquée à l'aube, pour la prière d'el fedjr, s'est vu contraint, sous la menace d'armes blanches, de céder les 8000 DA qu'il avait en sa possession. Le même phénomène (attaque de fidèles à l'aube) s'est produit dernièrement à Mouzaïa et El Affroun. A Diar El Bahri (Beni Mered), même constat. «Des bandits bien connus déambulent, la nuit, des sabres à la main, et font la loi sans être inquiétés», témoigne-t-on. Boufarik reste toutefois la ville la moins sécurisée dans la wilaya de Blida. Rien qu'en 2011, les urgences des établissements de santé de cette ville ont recensé plus de 1300 personnes ayant eu des soins dans ces services suite à des coups et blessures volontaires ; pas moins de quatre personnes ont succombé à leurs blessures. La prolifération anarchique du commerce informel ainsi que l'omniprésence de vendeurs de drogue et de boissons alcoolisées sont les principales causes de cette insécurité. Ajouter à cela le manque flagrant d'agents de sécurité. «Lorsqu'on appelle le commissariat le plus proche au moment d'un crime ou d'une agression, l'agent qui nous répond reconnaît qu'il n'y a pas assez de policiers pour intervenir, surtout lorsqu'il y a visite d'officiels. C'est très grave», se désole un Boufarikois. La mafia impose des dîmes A Zenket Setta (centre-ville de Blida), des commerçants doivent verser régulièrement, suivant un échéancier défini, une sorte de dîme à de dangereux repris de justice s'ils veulent continuer à exercer en toute quiétude leur commerce. Ces délinquants les menacent avec des sabres et les pit-bulls. La politique du «rançonnage» est aussi pratiquée à la station de bus de Bab Dzaïr (Blida) sur les chauffeurs de bus qui doivent payer quotidiennement une sorte «d'impôt» à des malfrats de grande envergure. A Ouled Yaïch, les commerçants du marché de fruits et légumes n'échappent pas à la règle, contraints de payer la «taxe requise» par une mafia locale qui délégue des personnes bien identifiées qui passent récupérer le pactole journalier à des heures précises. «Des accords tacites fonctionnent depuis des années comme une fatalité», affirme-t-on en requérant l'anonymat. La route de Chréa non sécurisée La RN37 reliant la ville de Blida à la station climatique de Chréa, censée être un lieu touristique donc sécurisé, est devenue depuis quelques mois un repaire de bandits des grands chemins. «Ils ciblent surtout les petites familles et les couples qui s'aventurent dans la forêt ou qui prennent la direction de la station climatique de Chréa», nous confie un chauffeur de taxi qui emprunte souvent ce chemin. Les malfrats viennent surtout de la cité Ben Achour, d'Ermel, de certaines cités de Ouled Yaïch et même des faubourgs du centre-ville de Blida. «Quand ils ne dressent pas un faux barrage pour délester les paisibles touristes venus chercher la quiétude des hauteurs, ils s'enfoncent dans la forêt de Yemma Bahria, d'El Tchalalta et dans le voisinage de Oued Abarar pour s'adonner à la consommation et à la vente de stupéfiants», témoigne un habitant de Chréa. Les hôpitaux non épargnés Les «jeunes aux sabres» se permettent donc tout, même à l'intérieur des hôpitaux ! C'est d'autant plus grave que des responsables de structures sanitaires affirment gérer des situations dangereuses où les acolytes d'un gang mettent de la pression sur les infirmiers pour faire passer, en priorité, leurs éléments blessés. Gare à celui qui ne respecte pas leurs consignes ! «En moyenne, on reçoit trois cas par jour et on est obligé de les caresser dans le sens du poil pour gérer une enceinte d'un hôpital submergée par des voyous qui passent à l'acte pour un oui ou pour un non», nous affirme, plus qu'inquiet, un responsable d'un établissement de santé où convergent notamment les blessés par arme blanche. «Même l'autorité fait dans le soft et la cohabitation quand il s'agit de malfrats bien connus», se désole un citoyen rencontré à l'intérieur d'un hôpital, qui ajoute qu'une dénonciation peut facilement se retourner contre le dénonciateur ! Le vote et le printemps arabe «Depuis le fameux Printemps arabe et à la veille des élections, les agents de sécurité ont tendance à chouchouter les malfrats ; les mesures coercitives sont loin d'être appliquées et ce, dans le but d'éviter les soulèvements de jeunes. Même les instances judiciaires lâchent les personnes incriminées dans des affaires liées notamment aux agressions et au port d'armes prohibées», atteste un avocat. Et de poursuivre : «Au cas où ils sont emprisonnés, ces jeunes, en dépit de leur dangerosité, bénéficient de liberté suite à des mesures de grâce, entre autres.» Sur le plan des statistiques, le groupement territorial de la Gendarmerie nationale, a recensé pour l'année 2011, au niveau de la wilaya de Blida, quelque 1515 affaires d'atteinte à l'intégrité physique des personnes. Le bilan de la police judiciaire, pour la même année 2011, note pour toute la wilaya de Blida 3809 affaires ayant trait de manière directe ou indirecte au phénomène d'agression, dont 2413 affaires concernent l'atteinte directe à l'intégrité physique des personnes. Sur les 11 wilayas du centre du pays, Blida et Chlef occupent la deuxième position après la capitale dans les affaires ayant trait à l'atteinte de l'intégrité physique des personnes. Les personnes arrêtées sont ou bien relâchées ou encore emprisonnées pour quelques mois pour devenir d'«éternels» repris de justice !