Putsch, sanctions, rébellion, kidnappings… depuis quelques semaines déjà, le Mali est débordé par les événements dans le Nord. Pour une sortie de crise immédiate, il ne suffit pas seulement d‘une bonne volonté internationale, mais d'un engagement panafricain pour la stabilité du continent. Bamako. De notre envoyée spéciale Nous reparlerons de démocratie dans ce pays quand nous organiserons de vraies élections», déclare Mamadou Sédikté, sociologue et ancien militaire malien. «Je félicite toutefois le capitaine Sanogo de ne pas avoir donné raison à ceux qui affirmaient qu'il imposerait son diktat. Le Mali est en crise, nous n'avons pas besoin de diviser davantage le peuple», ajoute-t-il. Vendredi 6 avril, le capitaine Sanogo s'est exprimé sur l'ORTM (télévision publique) pour annoncer le prochain transfert du pouvoir aux civils et la nomination du président de l'Assemblée nationale malienne, Dioncounda Traoré, en tant que chef de l'Etat du Mali par intérim. Il s'agit là d'un engagement résultant de l'accord conclu entre la junte militaire et des représentants de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Accord qui prévoit le transfert du pouvoir aux civils jusqu'à la tenue d'élections présidentielle et législatives. «Finalement, le capitaine Sanogo n'est pas un affamé du pouvoir, puisqu'il le transfère aux civils», soutient Soundiata Maissa, secrétaire au ministère des Affaires étrangères malien, anti-junte et fervent supporter de l'ex-président Amadou Toumani Touré (ATT). «La junte a détruit presque tous nos bureaux. Il est très difficile de travailler aujourd'hui. J'étais hors de moi, ce jour-là, quand les ‘criquets pèlerins' sont passés ! Nous essayons de mettre le pays debout et si les militaires le tirent vers le bas, on ne pourra rien sauver», ajoute Soundiata Maissa, qui dit que sa vision des choses a changé aujourd'hui, depuis que le chef des putschistes a annoncé son retrait. Bamako semble soutenir son capitaine, bien qu'il y ait eu beaucoup de réticents au début du coup d'Etat du 22 mars dernier. Cet événement est survenu dans un contexte délicat ; l'instabilité au Nord-Mali n'a pas empêché l'action qualifiée de «spontanée» des putschistes revendiquant un «redressement démocratique» afin d'assainir le gouvernement d'ATT. «On ne pouvait imaginer que la junte avait agit indépendamment. A Bamako, on accusait déjà l'ancien président de l'Assemblée nationale, Ali Nouhoum, d'être l'auteur d'un tract anonyme appelant les militaires à faire un coup d'Etat», poursuit Soundiata Maissa. Courageuse tentative ou fausse démocratie, la majorité des Maliens, surtout à Bamako, sont contents de ce changement. «Le renversement d'ATT est une réponse directe aux défaillances d'un Etat qui n'a pas su prévenir une rébellion aussi violente et rapide au Nord-Mali, alors que les revendications des rebelles ne datent pas d'aujourd'hui», confie un lieutenant de l'armée. «L'exécution de nos camarades à Aguelhok a été un choc. Même la guerre a des règles, on se défend, on attaque mais on ne tue jamais de sang-froid !», souligne-t-il. Des sanctions injustes La Cédéao, avec les sanctions décrétées le 2 avril, a précipité le pays dans une nouvelle crise. «Punir les militaires ou le peuple au lieu de nous aider à organiser une offensive dans le Nord est à l'image de l'inutilité de la Cédéao et de l'Union africaine», lâche Boubacar Simoué, avocat du barreau de Bamako. Ce 2 avril, Bamako s'est réveillé avec une violente céphalée ; on ne pouvait pas se frayer un chemin dans les stations-service. Même en banlieue, les Bamakois vidaient les magasins d'alimentation. Il n'y avait plus rien au marché. Une panique justifiée par la durée indéterminée de cet embargo. «L'idéal, dans ce cas, est de faire des réserves d'eau et de provisions, mais quand on sait que le Mali est un pays très pauvre, ce ne sont pas tous les Maliens qui ont les moyens de s'approvisionner», se plaint Rokia Haidara, qui poursuit : «C'était une bonne leçon pour les Maliens, car on connaît ainsi nos amis et nos ennemis. Si les Etats de la Cédéao sont capables de nous maintenir affamés pendant des jours, c'est qu'ils sont aussi capables de faire pire encore. Le destin de ce pays est incertain, avec ou sans junte.» La Cédéao, après l'accord passé avec la junte, a décidé la levée de l'embargo diplomatique, économique et financier, en amnistiant ainsi la junte. Cette annonce est survenue quelques heures après la proclamation de l'indépendance de l'Azawad par le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA). La plupart des députés, notables et candidats à la l'élection présidentielle «avortée» (le scrutin devait avoir lieu le 29 avril 2012) exigent des militaires d'assumer leur premier devoir, c'est-à-dire la protection du territoire malien dans son intégralité. «Je ne comprends pas ce qu'ils font à Bamako, même si je trouve plausible qu'ils déclarent qu'ils n'ont pas les moyens. C'est hélas une vérité si ridicule à dire, cependant c'est la triste réalité, j'ai honte de l'avouer», dit, amer, un diplomate malien dépêché à Bamako depuis l'Europe pour soutenir les accords avec la Cédéao. A Kati, 3e Région militaire du Mali, des dizaines d'associations de jeunes étudiants sont venues voir le capitaine Sanogo. «Nous réclamons des armes pour défendre nos familles restées au Nord, livrées aux doubles exactions des rebelles et des djihadistes», lance Kimi Hadji Ag Haroua, un Targui originaire de Gao résidant à Bamako. «Je suis Touareg par mes racines, j'ai vu le jour au Mali, pas dans l'Azawad. Les vrais traîtres sont ceux qui découpent le pays en morceaux, qui affament les populations et qui violent mes sœurs ! Je suis révolté par la communauté internationale, par la Cédéao… Aujourd'hui, je veux juste une arme pour libérer à mon tour le Mali !», dit-il encore. «La Cédéao et l'Union africaine pas bouger !» Les jeunes, à Bamako, décrient ouvertement la situation au Nord, tout en étant conscients des faux pas d'ATT. «Si on devait en vouloir à quelqu'un, c'est ATT qui serait mis en cause. Il a précipité la chute des villes du Nord, sa démocratie est douteuse et ne sert pas le peuple. On le dit nationaliste, je le trouve hors de la réalité de notre pays. La pauvreté grignote tous les jours notre santé. Au Mali, un rêve sur cent se réalise pour une jeune, diplômé ou pas», poursuit avec dépit Kimi. D'autres rassemblements sont organisés au cœur de Bamako ; des jeunes Maliens résistent à leur manière, en dénonçant la violation des droits humains, le saccage d'infrastructures sociales à Kidal, Gao et Tombouctou. «Le Mali est indivisible», «Sortir le Nord de la crise», «Touareg malien et fier», «La Cédéao et L'Union africaine pas bouger !», peut-on lire sur les banderoles. Par dépit ou par provocation, les jeunes Maliens veulent une unité nationale sur le terrain. «Comment peut-on être Touareg sans être Malien ? La division de mon pays me déstabilise, l'acharnement du MNLA sur les régions du Nord prouve qu'ils sont aussi affairistes que les groupuscules qui infectent la zone. Si c'étaient vraiment des révolutionnaires, ils auraient rejoint l'armée malienne pour combattre Al Qaîda», confie Elhadji Tahir Macalou. Les jeunes, force du pays, n'ont plus goût à rien, si ce n'est à la révolution. Un journaliste malien du quotidien L'Essor raconte qu'en 1991, pas moins de 200 étudiants sont morts pour la révolution. «L'Etat oublie vite. Les étudiants, dans le monde, rêvent d'acquérir de nouvelles connaissances et de mettre en avant les compétences d'un pays. Au Mali, les étudiants rêvent seulement de devenir fonctionnaires et d'assurer un salaire mensuel, une stabilité si j'ose dire. Quand on pense que le Mali est l'un des pays les plus pauvres au monde, c'est un luxe», dit-il. La rébellion touareg au nord du Mali a redessiné un nouvel avenir pour le pays du Mandé. Pour certains, le mouvement indépendantiste est légitime ; pour d'autres, ce n'est qu'une minorité agitatrice et aventurière qui met en péril la stabilité de la bande sahélo-saharienne. Pour Aminata Dijonké, épouse d'un diplomate, le MNLA a réagi violemment car les Touareg sont malmenés depuis plus de 50 ans. Elle estime que l'aspiration à l'indépendance est justifiable. Pour sa part, un diplomate malien avoue qu'ATT a laissé faire et ne s'est jamais imposé. «ATT a donné le coup de grâce à notre armée, qui est aussi composée de Touareg et de toutes les identités maliennes. Si chaque ethnie devait se lever contre le pays, une guerre civile serait en route au moment ou je vous parle. Certes, on ne peut satisfaire tout le monde, mais ceux qui ont connu Kidal ou Gao il y a dix ans ne les reconnaîtront pas aujourd'hui car ATT a reconstruit ces villes», souligne-t-il. Dans les médias étrangers, le Mali est représenté de manière caricaturale ; on parle du capitaine Sanogo comme d'un personnage burlesque tombé de nulle part. Un journaliste camerounais a rappelé que Sanogo a été choisi par le Pentagone pour participer à un programme international d'éducation et d'entraînement militaire parrainé par le département américain. La population, dans les colonnes de la presse étrangère, passe pour «des cohortes indisciplinés» incapables de comprendre ce qui leur arrive. Ce mépris est également exprimé envers les médias locaux. Cela n'a pas été du goût des Maliens, qui n'ont pas hésité à le déclarer librement ; évidemment, les chaînes étrangères ont pris soin de censurer cette partie. Pour les observateurs à Bamako, la «Françafrique» est derrière la poudrière saharienne qui sert d'accoudoir aux anciennes puissances coloniales. «Le continent africain est sur le point de connaître un nouveau découpage non pas pour le bien des minorités, mais spécifiquement pour les richesses minières et naturelles», soutient l'un d'eux.