Après cinq longs mois d'indécision et autant de laborieux jeu d'équilibre, le gouvernement a fini par finaliser un projet d'ordonnance portant sur les fameux textes d'application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le conseil de gouvernement réuni hier a été entièrement consacré à l'examen et à l'adoption de ce texte censé codifier le passage de l'Algérie d'une situation de guerre à celle de paix. On retiendra d'emblée que les dispositions de ce texte concernent tous les individus impliqués dans la « tragédie nationale » qui se sont présentés aux autorités entre le 13 janvier 2000 et la promulgation de cette ordonnance. Il y est spécifié que les personnes non impliquées dans les faits de massacres collectifs, viols ou usage d'explosifs dans les lieux publics (...) et celles qui recherchées à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire national ainsi que ceux qui avaient été condamnés par contumace peuvent désormais se présenter dans un délai de six mois aux autorités pour bénéficier d'une réhabilitation. La clémence présidentielle est élargie également à ceux qui ont été condamnés définitivement pour des faits qui n'ont rien à voir avec les actes cités plus haut. Comme pour la concorde civile, Abdelaziz Bouteflika a retenu un délai de forclusion de six mois, au-delà duquel les dispositions de cette ordonnance seront, théoriquement, frappées de nullité au tort des concernés. « Cette date butoir » n'est pas sans rappeler le fameux « Seif El Hadjadj » brandi par Bouteflika le 13 janvier 2000 contre ceux qui seraient insensibles à la grâce amnistiante. Sans préjuger des résultats ni de l'influence que pourrait avoir cette « nouvelle menace » sur les troupes ciblées, l'on se demande si le pouvoir sera véritablement armé de rigueur et de détermination pour exécuter, cette fois, ses mises en garde. Parce qu'en parcourant les dispositions contenues dans cette ordonnance, on voit mal les terroristes d'hier et d'aujourd'hui rejeter un retour sur un plateau d'argent, car non seulement ils recouvrent l'essentiel de leurs droits civiques mais plus encore, l'Etat s'engage à lever toutes les entraves administratives et sociales pour cette catégorie de citoyens en réintégrant par exemple ceux qui ont été licenciés de leur travail ou, le cas échéant, les indemniser. De la même manière, les familles de terroristes ou de disparus « qui ne peuvent être tenues pour responsables de actes de leurs enfants » bénéficieront des égards de la République, puisque des indemnités pourraient être versées aux familles démunies. Sous le vocable de « victimes de la tragédie nationale », le gouvernement a donc préféré mettre tout le monde dans le même sac pour ne pas raviver les rancœurs. Ainsi, les familles des disparus, celles des terroristes et des victimes sont prises en charge presque de la même manière au nom de la solidarité nationale. Il y a en revanche un détail de taille : soucieux apparemment de ne pas permettre à certains de bomber le torse comme le fait Madani Mezrag et de prévenir contre « la répétition de la tragédie nationale », l'ordonnance interdit explicitement « l'activité politique sous quelque forme que ce soit à toute personne responsable de l'instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale ». Exit donc du champ politique tous ceux qui, comme l'ex-émir de l'AIS, piaffent d'impatience de se jeter dans l'arène politique en vertu de la charte pour la paix et la réconciliation. C'est sans doute dans cette perspective que le législateur a prévu un décret spécifique concernant une déclaration que tout bénéficiaire devra signer en se rendant aux autorités. Les lignes rouges sont donc claires.